Les élections pour la 2eme constituante en Tunisie sont pour bientôt. Pour
ceux qui les ont programmées, elles seront une étape décisive de leur
plan de sauvetage au régime bourgeois pro impérialiste. Ce plan appelé «
transition démocratique » vise bien l’installation d’une « nouvelle
légitimité » qui pourrait stopper réellement le processus
révolutionnaire en cours.
En effet, une large coalition
partisane, associative, syndicale et ONG accoure pour contourner le
processus révolutionnaire. Les enjeux d’une révolution sociale sont vite
écartés. Ses enjeux politiques sont taillés à la hache, modelés et
canalisés dans une perspective qui se limite à une restauration du régime en place.
Dans cette perspective, et au sein de la coalition, des enjeux se disputent la domination.
1/ L’enjeu américain Il est clair que la stratégie américaine dans la région se base sur
trois pièces maitresses : les islamistes dits modérés, des pans
complets des régimes en place, innocentés et sauvegardés pour assurer la
continuité, et cette merveille de « société civile » formée de toutes
sortes d’organismes d’amortissement aux malheurs du capitalisme :
associations et fondations humanistes, féministes, de droit de l’homme,
écologistes, ONG, et petits partis pendisses et/ou dépendants
financièrement aux bailleurs de font impérialistes.
En haut de tout ce lot, l’armée veille à ce que tout se passe bien, sinon…
Un régime fort, en cohésion avec la stratégie
américaine/israélienne dans la région, géré par une sorte de démocratie
mesurée et centraliste, où l’armée pro américaine, se dotant d’une
autorité de prévention, se partage, au pire, le règne avec un islamisme «
modéré » à la saoudienne ou, encore mieux, à la Turquie .
En effet, après une amère expérience en Afghanistan et en Irak, les
EU sont convaincus que ses petits libéraux minables et très couteux ne
valent rien chez eux, et qu’il fallait reprendre leur alliance
traditionnelle avec les islamistes sunnites wahhabites et « ikhouanistes
», après le nettoyage des extrémistes, genre Ben Laden, qui les collent
et les tirent sur un terrain radical perturbateur à la nouvelle
stratégie colonialiste d’après la guerre froide.
2/ Enjeu français/francophone Affolée par son retard à lâcher son protégé, Ben Ali et son régime
dictatorial, la France a tout fait, depuis quelques mois pour se
racheter. Se basant sur son prédominance au sein des élites politiques,
culturelles, syndicales et associatives du pays, elle a vite formé un
bouclier libéral et social démocrate, se dotant de son modèle
démocratique tout fait, centraliste, laïcisant, exclusif, et anti populaire.
Ce modèle a permis une large coalition qui s’étend des vestiges de
l’ancien régime, passant par les opposants libéraux classiques, les
bureaucrates syndicaux, et touchant l’essentiel des organisations de
gauche des années soixante-dix convertis définitivement au réformisme.
La Haute Instance et ses commissions, dont celle des élections,
jouent un rôle primordial à imposer une démocratie mesurée, programmée
dans les salons du pouvoir loin des débordements de la plèbe, limitant
l’horizon de la révolution à une passation/partage du pouvoir au sein
des gens d’en haut, et excluant un aboutissement vers un pouvoir des gens d’en bas.
Les décrets électoraux, les ajustements aux lois, les préparatifs
difficilement négociés entre partenaires de récupération étouffaient
petit à petits les vrais aspirations populaires à une constituante
réellement constitutive et radicalement en rupture avec l’ancien régime.
La constituante à la Sebssi et cie ne fait que reformuler ce
régime, l’aménager, élargir sa base sociale, le démocratiser à doses
minutieusement calculées. Et pour ce la, il ne faut pas qu’elle sorte de
la coalition des participants à la « transition » récupératrice.
Les luttes, souvent camouflées parfois claires, entre les deux
enjeux passent à travers les conflits entre leurs pions. Au moment où
les États Unis accordent une importance majeure, dans leur stratégie,
sur les islamistes et l’armée, la France axe son influence
principalement sur la francophonie des élites dirigeantes dans les
différents secteurs de la société : universités, pouvoir judiciaire,
syndicats, ONG, Syndicats des métiers…
3/ L’UGTT, équilibriste chevronné Malgré ces divergences, le projet de sauvetage au régime
dictatorial et du système capitaliste dépendant est une convergence
majeure des deux enjeux. L’UGTT, fidèle à ses traditions d’équilibriste,
reste la pierre angulaire de toute politique de conciliation et de
collaboration de classe. Il joue, aussi, un rôle majeur à déterminer les
limites et les directions des réformes politiques, économiques et sociales envisagées.
Par sa nature moderniste innée, il sert à contrer les islamistes et
à maintenir l’aspect moderniste, laïcisant et pro européen, tout en
composant avec les manœuvres américaines de récupération. En effet son
intervention était décisive à déposer ZABA en deux jours puis à
maintenir le gouvernement de Mbazza3/Sebssi après la chute de celle de
Ghannouchi. Il était le seul à pouvoir leur donner une légitimité non
légitime et à trainer ses petits « alliés » du « Conseil National de
protection de la révolution » à rejoindre la « Haute Instance… machin »,
participant ainsi à donner un coup de grâce à la révolution.
4/ Penser l’après- élections du 23 octobre Les élections du 23 octobre seront le couronnement du processus
prescrit. Les résultats sont en gros prédéfinis. Même administration,
même forces de sécurité et même armée de Ben Ali. Une grande partie des
partis sont issus de l’ancien régime ou pseudo opposants proches de lui.
Un UGTT faisant semblant d’être désengagé tout en appuyant des listes
de continuité du régime et de collaboration de classe. Une loi
électorale exclusivement conçue pour favoriser un partage proportionnel
du pouvoir entre les partenaires de récupération. Une corruption à
grande échelle aux partis et aux organisations impliqué(e)s au carnaval.
Une exclusion pure et nette aux démunis/déclencheurs de la révolution.
Le processus électoral est, donc, loin d’incarner les aspirations
et les soucis des masses populaires. Il est conçu, au contraire, à les
bafouiller. Dans tout ce vacarme, une minorité de groupes,
d’indépendants et d’associations indépendantes essaient de contrer le
courant. Ils se battent pour avoir une voix des sans voix. Leur campagne
peut avoir certains échos en convergeant clairement avec l’enjeu de la
continuation de la révolution. Mais les barrières juridiques,
politiques, financières et administratives seront très difficiles. Ils
ont, comme même, une occasion d’imposer une conception à la campagne
électorale et politique autre que les publicités minables bombardées de
sous de corruption politique.
Dans tous les cas, un tel écho ne sera que partiel, parfois
régional ou sectoriel, contribuant, en partie, à dévoiler le cirque
électoral et à contribuer à redémarrer le processus révolutionnaire vers
ses fins révolutionnaires.
Une grande campagne pour organiser les forces de la révolution dans
un nouveau type d’organisation révolutionnaire, ouverte, démocratique,
fédérative et se dotant d’un programme révolutionnaire clair et
déterminé. Telle est la tâche la plus urgente pour tous ceux qui restent
hors la sphère de la récupération et de l’enterrement de la révolution.
Leur effort sera naturellement difficile, dans un tournant
historique aussi bouleversant. Mais le processus révolutionnaire ne
semble pas s’évanouir. Les peuples sont encore en mobilisation et
l’atmosphère objective est favorable à l’émergence de nouvelles forces
politiques révolutionnaires.
-------