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| موضوع: Tunisie : La révolution a-t-elle besoin de savants ? السبت 5 نوفمبر 2011 - 12:24 | |
| Fouquier-Tinville, accusateur public du sinistre Tribunal Révolutionnaire en France envoyant à la guillotine, en 1794, Antoine-Laurent Lavoisier - le père de la chimie moderne qui avait, pour son malheur, la charge de collecteur de taxes et d’impôts sous l’Ancien Régime- aurait dit : « la Révolution n’a pas besoin de savants.» S’agissant de la nôtre, il est clair que la Science et les savants n’occupent pas beaucoup les esprits….alors que l’athéisme, la laïcité, le fondamentalisme, la charia…font couler beaucoup d’encre et de salive voire du sang comme on l’a vu hélas ! devant un cinéma de la capitale ou même devant le Palais de Justice à Bab Benat il y a quelques semaines…
A l’heure où notre Révolution a magistralement réussi, après « l’épreuve du Bac », - celle ô combien symbolique des élections-, il est bon de rappeler quelques vérités et de souligner que le devenir des nations est conditionné par leur progrès dans le domaine de la Science et du savoir en général. La Révolution doit aussi se pencher sur cette question capitale et se prononcer sur le rôle de la Science dans cette Tunisie Nouvelle, post 14 janvier. On peut penser ce que l’on veut de Pascal Lamy, le directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) mais on ne peut qu’acquiescer lorsqu’il affirme (Le Monde du 01 juillet 2011) : « C’est le système éducatif qui est le moteur principal du développement. » Or, qui peut nier aujourd’hui que tout le système éducatif tunisien est à la peine – avec ses cours particuliers payants « obligatoires » et ce long épisode LMD- et que sa révision s’impose de toute urgence, à travers un débat démocratique sans concessions qui inclura pouvoirs publics, enseignants, chercheurs, partis politiques et associations?
La Science est une base en continuelle croissance, elle est de plus en plus sophistiquée. De son côté, l’activité scientifique comprend deux composantes majeures qui doivent être traitées sur un pied d’égalité :
- Production des connaissances via la recherche - Transmission des connaissances par le biais de l’enseignement et de la popularisation. La science - c’est un truisme- génère des connaissances sur la Nature qui sont en mesure d’accroître la prospérité des nations. Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce qui se passe en Chine devenue une puissance même en matière de conquête de l’Espace. Quel chemin parcouru depuis 1949 et les soldats faméliques de la Longue Marche ! Les pays qui avancent ont su mettre en place des institutions scientifiques fortes qui ont été en mesure de puiser dans le savoir global, de l’étendre et l’adapter à leurs besoins nationaux. La Science- tout comme la démocratie du reste- fait appel à la créativité, à la rationalité, à l’ouverture, à la tolérance et au respect de la preuve et de la logique, ces caractéristiques inhérentes de la Science. Le Premier Ministre Jawaharlal Nehru a si bien compris ces données qu’il demandait, il y a soixante ans, à la naissance de l’Inde libérée du joug britannique, que son pays adopte « l’esprit scientifique ». Cet esprit, ce tempérament sont absolument nécessaires aussi pour toute démocratie vivante. Quelle noble mission pour les nombreux partis qui voient le jour actuellement dans notre pays s’ils s’attelaient à insuffler cet esprit, ce tempérament, ce trait de caractère ! Il est permis d’espérer…
Une remarque du professeur japonais Akira Suzuki - qui a partagé en 2010 le Prix Nobel de chimie avec l’Américain Richard Heck et son compatriote Ei-Ichi Negishi pour leur découverte d’un procédé de catalyse fort ingénieux de synthèse organique pour produire notamment un certain nombre de médicaments- a retenu mon attention. Agé de 80 ans, le professeur Suzuki, tout juste nobélisé, a appelé son pays, « privé de ressources naturelles », à « développer particulièrement le secteur de la science ». Or, pour l’observateur étranger, le Japon ne paraît pas tellement en retard sur le plan de la science…bien au contraire ! Universités et instituts innombrables, recherche de pointe, industries d’avant-garde, projets scientifiques et industriels futuristes comme le montre la Cité scientifique de Tsukuba, 90% de la population titulaire de l’équivalent du baccalauréat…Rien ne manque. Pour le professeur Suzuki cependant, son pays ne saurait maintenir le cap sans le développement et l’apport de la Science.
Que dire alors du monde arabe et des pays en développement en général ? Et bien sûr, de la Tunisie, qui comme l’Empire du Soleil Levant, n’a que l’intelligence de ses enfants à faire fructifier ?
2011, l’Année Internationale de la Chimie
L’appel du Pr Suzuki me remet en mémoire la réflexion du chimiste français Gérard Férey qui a remporté la médaille d’or du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) de son pays en septembre 2010 et alors que l’ONU a déclaré « 2011, Année Internationale de la Chimie ». Notant que la chimie est aujourd’hui partout présente, il a averti : « Pas d’avenir sans la chimie ». Médicaments, plastiques, pesticides, carburants, détergents, engrais, peintures, pigments, explosifs, photographie, réfrigérants, textiles artificiels, vitamines, édulcorants alimentaires….la liste est longue des apports de la chimie à notre santé, à notre confort, à notre hygiène, à notre agriculture et donc à notre alimentation…Qu’on pense à la javellisation de l’eau potable introduite en 1775 par le chimiste Berthollet et aux innombrables vies humaines qu’elle a sauvées en éradiquant la fièvre typhoïde, le choléra et les nombreuses affections transmises par la contamination fécale de l’eau. Il est vrai que la chimie- qui est en même temps une industrie qui a permis le développement, au début de l’ère industrielle de nombreux pays occidentaux - a mauvaise presse du fait de la pollution et des accidents. Pollutions et catastrophes sont d’abord le fait de certaines multinationales qui n’ont d’yeux que pour le cash flow et de leur insatiable appétit pour les profits, pour l’exploitation des richesses et de la main-d’œuvre dans le monde. C’est ainsi que le drame de Bhopal en Inde, dû à la fuite de produits toxiques dans l’usine de pesticides appartenant à la société américaine Union Carbide, a fait, dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, plus de 3000 morts et des dizaines de milliers de mutilés. Deux unités similaires aux Etats Unis et en France, propriétés du même groupe, n’ont jamais enregistré d’accidents de cette ampleur tant la réglementation est stricte et les précautions draconiennes sous ces cieux. C’est la fameuse et inique loi du « double standard » : ce qui est cancérigène par exemple au Nord devient inoffensif dès qu’il est exporté au Sud. On notera, comme parfaite illustration du « double standard », le fait que le PDG d’Union Carbide, l’Américain Warren Andersen, condamné par la justice indienne n’a jamais pu être extradé et coule des jours heureux à New York. Et ces gens se permettent de nous doctement parler de « démocratie » et de « droits humains » !
Une science négligée
Dans nombre d’anciennes colonies françaises comme les pays du Maghreb arabe, la chimie est négligée car au pays de Louis Pasteur- chimiste de formation, on l’oublie souvent- cette science était considérée comme une discipline mineure et ne figurait pas, par exemple, au concours d’entrée de l’Ecole Polytechnique jusqu’à un passé récent. D’où, du reste, l’avance allemande (l’aspirine qui a permis à Bayer de devenir ce mastodonte industriel par exemple) et britannique (les colorants synthétiques de Perkin ont provoqué la faillite des cultivateurs de la garance du sud de la France et ont été exportés aux quatre coins du globe faisant la fortune de la firme ICI ) dans le domaine de l’industrie chimique par rapport à la France. Les élites des ex-colonies ont hélas ! souvent suivi les conceptions des colonisateurs dans le domaine de l’enseignement et n’ont pas donné à la chimie la place qu’elle mérite. Pourtant, affirmait en 1984 le grand chimiste américain Linus Pauling, double Prix Nobel (de la Paix et de Chimie) et citoyen engagé : « Aucun des aspects du monde contemporain, jusques et y compris la politique et les relations internationales n’échappe à l’influence de la chimie » et ajoutait : « Pas d’autre choix que celui de l’éducation et de la démocratie. » Pensez à la bombe iranienne, à la question des brevets d’invention dans le monde, au marché des émissions de gaz à effet de serre, aux minerais du Congo-Kinshasa, à l’uranium du Niger….pour ne rien dire du pétrole et du gaz arabes….La chimie et ses nombreuses applications dominent la politique et la diplomatie des nations aujourd’hui. Rappelons que, sitôt le traité du Bardo du 12 mai 1881 signé, la France a institué une Commission scientifique pour faire l’inventaire des richesses de « la Régence de Tunis » -dont les phosphates de Gafsa- et que la Déclaration Balfour de 1917 - qui a permis aux sionistes de s’arroger la Palestine- a pour origine la cession au gouvernement britannique du brevet d’invention pour l’obtention d’acétone (solvant pour explosifs sans fumée) par biotechnologie du biochimiste biélorusse Chaïm Weizmann, premier président de l’entité israélienne.
En fait, dans nos pays, il faut se rendre compte que nous ne pouvons demeurer indéfiniment des consommateurs de produits importés et remettre notre destin entre les mains des étrangers pour nos communications, nos médicaments, notre défense… Il nous faut inculquer à nos populations la primauté de la culture et de l’esprit scientifiques pour pouvoir pourvoir à nos besoins, en toute indépendance. Culture et Science vont la main dans la main contrairement à ce qu’un vain peuple croit ! Un scientifique digne de ce nom ne saurait ignorer les dimensions historiques, philosophiques, sociologiques et économiques de son activité. « L’impact social et économique des découvertes scientifiques (clonage, OGM, nanotechnologies…) confère aux spécialistes la responsabilité collective de permettre aux citoyens le débat sur les enjeux et les priorités de la politique scientifique » écrit le Pr Marc Lévy-Leblond (Alliage, n°61)
Commentant en novembre 1999, l’attribution du Prix Nobel de chimie à l’Américain Ahmed Zuwail – qui enseignait au Caltech en Californie- dont la formation initiale (maîtrise de chimie) a été faite à l’Université d’Alexandrie, Salama Ahmed Salama écrivait dans la revue cairote Weghat Nazar (page 82) : « L’absence de réflexion scientifique dans les hautes sphères de nos sociétés a conduit à l’appauvrissement de la pensée scientifique dans les milieux intellectuels, ce qui a abouti au dépérissement des valeurs de la recherche scientifique, de l’indépendance d’esprit et du respect de la raison. Des formes d’arrivisme, d’opportunisme et la course derrière le profit rapide ont alors prévalu… » Ce qui conduit à la mise à l’écart et à la marginalisation de nos universités. On rappellera, la mort dans l’âme, que le classement de Shangaï met l’Université de Tunis au rang 6719 ! Le prochain gouvernement tunisien ne saurait faire l’impasse sur la situation de notre enseignement supérieur en dépit des énormes défis qui l’attendent. Ben Ali, ce « bac moins trois », était étranger à toute réflexion scientifique mais notre prochain gouvernement devra lui donner la priorité !
Il faut éviter, bien sûr, les généralisations hâtives car certains pays du Sud ont pleinement réalisé l’importance du savoir. Au Brésil, aux élections du 03 octobre 2010, la recherche et le rôle de la science ont été mis en avant par les scientifiques qui ont fait un lobbying inhabituel déterminé et coordonné des candidats. Selon la prestigieuse revue scientifique Nature (Londres) du 30 septembre 2010, l’Académie Brésilienne des Sciences et la Société Brésilienne pour l’Avancement de la Science ont envoyé une lettre à tous les candidats à l’élection présidentielle leur recommandant avec insistance d’accorder plus d’attention à l’enseignement scientifique de base et aux mathématiques afin que le pays puisse pleinement profiter du pétrole récemment découvert et pour pouvoir préserver l’Amazonie sans néanmoins subordonner l’éducation et l’enseignement à une politique de l’emploi c’est-à-dire en définitive aux aléas du marché. Il est vrai cependant que, durant ses sept ans de présidence, le Président Luiz Inacio Lula– qui a été cireur de chaussures et marchand ambulant- a fortement augmenté les crédits de la recherche et a même écrit plusieurs éditoriaux dans des revues comme la célèbre Scientific American pour faire connaître les initiatives de son gouvernement dans le domaine scientifique. Son propre ministre de la Science, Sérgio Rezende- grand connaisseur de la théorie du « spin wave » en physique n’a pas cessé, aux dires de la revue Nature, de publier dans les périodiques spécialisés durant les cinq ans qu’il a passés à la tête du ministère menant ainsi de front, ses charges politiques et ses travaux de physicien.
Après une récente visite en Egypte, le rédacteur en chef de la grande revue américaine « Science » notait que, pour les scientifiques, « les idées, les résultats, les opinions doivent être évalués indépendamment de leurs sources car ce qui est important, c’est ce qui est dit et non qui le dit. » Pour une Révolution démocratique en effet, les résultats scientifiques d’un jeune chercheur ne sont pas moins respectables ou moins intéressants que ceux d’un pair plus âgé voire d’un Prix Nobel. En Science, point d’autorité ! C’est ainsi que Galilée, Lavoisier et Einstein, entre autres, ont vu leurs travaux mis en doute. Le grand chimiste américain Linus Pauling, honoré par deux Prix Nobel non partagés, donnait ce conseil aux jeunes: « Quand une personne âgée et distinguée vous parle, écoutez-la soigneusement et avec respect mais ne la croyez jamais. Ne mettez votre confiance en rien d’autre qu’en votre esprit et votre intelligence. Votre aîné, que ses cheveux soient gris ou blancs, peut se tromper…C’est pourquoi il vous faut être toujours sceptiques et penser toujours par vous-mêmes. » Pour qu’une nation excelle dans le domaine scientifique, le mérite seul doit entrer en ligne de compte. Pas le régionalisme, les relations personnelles, le statut social, les opinions politiques ou le fait du prince. On objectera mais qui juge du mérite ? Pour les jeunes nations comme l’Egypte ou la Tunisie, seuls des panels de collègues imbus de l’esprit scientifique – auxquels des experts étrangers pourraient apporter leur expérience- peuvent trancher. Pas le ministre ou des fonctionnaires.
L’importance de la recherche est actuellement ressentie partout tant dans les pays industrialisés comme dans les BRICS (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud) Ainsi, en juin 2011, le gouvernement français a distribué aux Universités les sommes récoltées lors d’un emprunt national pour leur permettre d’être dans le peloton de tête mondial et rejoindre les Universités chinoises ou allemandes. La biologie, l’informatique, la lutte contre le cancer, les nanotechnologies, la science des matériaux et les sciences de l’environnement…sont parmi les disciplines à booster. En Egypte, une campagne nationale de dons est lancée pour édifier une grande « Cité de la Science », gigantesque campus aux portes du Caire. Ces exemples devraient inspirés notre Révolution. La campagne « Madrassati » devrait être étendue à tout le système éducatif de la maternelle à l’Université. Roald Hoffmann, Prix Nobel de chimie en 1981, affirmait en 1999 : « Ignorer la Science constitue une barrière au processus démocratique- aussi imparfait que puisse être ce processus…Pour rendre la Science et de manière plus spécifique la chimie attractive…il faut la placer fermement et à tout moment dans le monde de la culture. » Car, contrairement à ce que dit le procureur Fouquier-Tinville , la Révolution a bien besoin de savants ! On voit mal comment la Révolution tunisienne pourrait s’en passer si elle veut être à la hauteur des espérances et des sacrifices de notre peuple et sortir ce pays du retard où le colonialisme et la dictature l’ont plongé. Mohamed Larbi Bouguerra ** Professeur honoraire à la Faculté des Sciences de Tunis et ancien directeur de recherche associé au CNRS Consultant OMS et UNESCO Collaborateur au Monde Diplomatique et à la Recherche.
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