Alors que le conflit libyen semble dans l’impasse, la mission
d’évaluation menée conjointement par le Ciret et le CF2R vient de
rendre public son rapport. Le contenu de ce dernier confirme la thèse
d’une opération où la France, en particulier le sommet de l’Etat, s’est
engagée sur des bases relevant plus du coup de tête que de la stratégie.Les évènements libyens offrent plusieurs niveaux de lecture. L’une
est romanesque et médiatique à la BHL, suffisante pour les lecteurs du
Château, avides de munitions pour une communication primaire. D’autres,
comme celle de l’ambassadeur de France à Tripoli, François Gouyette,
donnent une vision plus réaliste de la situation. D’ailleurs,
l’Assemblée Nationale ne s’y est pas trompée en auditionnant celui-ci en commission le 8 mars dernier. Fait troublant, l’analyse de notre ambassadeur comporte des similitudes de vues avec le rapport du Ciret / CF2R.
DécryptageMême si, chronologiquement, la révolte libyenne s’inscrit dans « le
printemps arabe », elle n’est ni populaire, ni spontanée et encore moins
démocratique. Il semble que l’on ait à faire à une reconquête politique
du pouvoir par un attelage de circonstance, des plus improbables. Les
révoltes arabes offraient un bon tempo pour une manipulation facile. Le
CNT (Conseil National de Transition) se compose tout au plus de 10% de
démocrates. Le reste regroupe des personnages plus ou moins
opportunistes, comme l’ancien ministre de la justice de Kadhafi,
Mustapha Abdujalil Al Bayda, aujourd’hui président du CNT. Le créateur
des forces spéciales de Kadhafi, le général Abdul Fatah Younis Al Abidi,
est devenu, après sa défection express, le nouveau patron des forces
armées du CNT.
A cela, il faut ajouter les monarchistes traditionalistes Senoussi, que
l’on peut qualifier d’islamistes intégristes, et les repentis du GICL
(Groupe islamiste combattant libyen).
Mais le point le plus important demeure la région que le CNT représente.
L’Est de la Libye, principalement la Cyrénaïque, est le foyer numéro un
de l’intégrisme islamique. En effet, la Cyrénaïque est la région du
monde arabe qui a envoyé le plus grand nombre de combattants en Irak
contre les Américains.
Ce constat fait, le regard sur l’opération libyenne prend un tout autre
aspect. On ne peut s’empêcher de penser à l’aide américaine fournie aux
« moudjahidin intégristes » afghans à l’époque soviétique ou encore à
l’Imam Khomeiny aidé par les occidentaux pour renverser le Shah. A
chaque fois, ces alliés d’un temps se sont retournés très violemment
contre leurs bienfaiteurs. Quelle impérieuse nécessité a donc poussé les
Français à se mettre en devoir de renverser Kadhafi ?
Une occasion unique pour SarkozyConscient d’avoir raté le train de l’histoire dans les révoltes
arabes, l’Elysée s’est, semble-t-il, fait influencer, pour ne pas dire
manipuler, par deux protagonistes de premier plan : Le Qatar et les USA.
Le premier avait essuyé un refus de cartelliser sa production gazière
avec la Libye. Les exportations de gaz vers les Etats-Unis ayant
sensiblement baissé après la mise en place de la production de gaz de
schiste sur le continent américain.
Le second souhaite reprendre à son compte l’influence de la Libye en
Afrique et couper court à l’implantation des Chinois à Tripoli. Il ne
faut jamais oublier l’immense influence de la Libye en Afrique, en parti
due à des financements en tout genre. Dans la guerre économique que se
livrent la Chine et les USA en Afrique, Tripoli est une clef à détenir.
La soif de reconnaissance de notre Président a fait le reste. Les USA
ont feint d’hésiter et ont laissé la communication française prendre
place. A ce stade, il est difficile de parler de politique étrangère.
L’Elysée a dirigé les opérations en prenant soin de laisser le Quai
d’Orsay de côté (et le rapport Gouyette). Il n’est pas nécessaire de
revenir sur l’équipée libyenne de BHL et les décisions qui ont suivi à
l’Elysée.
Quant aux Qatari, ils ont fourni le chéquier mais surtout le vecteur d’information si précieux dans le monde arabe, Al Jazeera.
Le rapport du Ciret / CF2R explique très bien l’opération de
désinformation vis-à-vis de l’opinion publique. Même constat chez notre
ambassadeur.
« Ils sont nuls »A l’heure d’une transparence grandissante, l’Histoire risque d’être
très acide avec Nicolas Sarkozy dans les années qui suivront son mandat.
Ce qui se voulait n’être qu’une opération « presque » humanitaire devient un bourbier d’où la France ne tirera aucun bénéfice.
La précipitation fut telle que très vite nos Rafales et nos Mirages
larguaient des bombes, à guidée laser d’entraînement, faute de stocks
suffisants de munitions. Ces bombes sans charges explosives, faites de
deux cent cinquante kilos de béton et qui tombent à trois cents
kilomètres heure, font malgré tout des dégâts irréparables sur les
matériels.
Cette guerre tourne à une bataille de pieds nickelés. Les forces
spéciales françaises et britanniques s’arrachent les cheveux, paraît-il,
pour guider tactiquement les rebelles dans leurs combats. Ils sont tout
simplement nuls. Et comme en face ils ne valent guère mieux, le conflit
stagne. D’où le besoin d’hélicoptères.
Sur la question financière, le CNT est plus compétent puisque ses
membres sont parvenus à obtenir le déblocage, de la part de la
communauté internationale, de fonds pour environ huit cents millions
d’euros (dont deux cent quatre-vingt dix de la France). Il faut espérer
que les millions d’euros ne vont pas disparaître comme les milliards de
dollars en Irak, qui ont créé un contentieux non résolu entre Washington
et Bagdad. Il est toujours difficile de comprendre pourquoi des pays
producteurs d’hydrocarbures ont besoin de telles sommes d’argent alors
qu’il suffit de remettre en marche la production, surtout dans le cas de
la Libye.
L’empressement de la France et de l’Italie à débloquer des sommes de cet
ordre, dans des buts souvent flous, laisse toujours perplexe ; d’autant
que, comme dans les trafics d’armes, le « end user » change souvent en
cours de route. Alors que le sport préféré de pays comme la Libye est la
rétro-commission, il y a de quoi s’inquiéter. Evidemment, les Italiens
se sont empressés de ne pas lésiner sur le montant, près de quatre cents
millions d’euros.
Si un consensus se dégage sur les évènements de Libye, il est
particulièrement négatif. Tous les experts que nous avons rencontrés,
qu’ils soient militaires, diplomates ou dans le renseignement, sont
unanimes : la précipitation et l’amateurisme ont été les maîtres mots
de cette affaire. L’impression générale laissée par cette aventure fait
penser à une sorte de fuite en avant perpétuelle. On attrape le premier
événement venu. La décision se prend au sein d’un cercle plus que
restreint sans l’avis des services compétents. On fait donner les
communicants et leurs relais télévisuels. Au passage, les mérites du
Rafale, véritable accident industriel français, sont détaillés au-delà
du supportable sur toutes les chaînes de télévision.
Le risque de financement et de distribution d’armes aux terroristes
islamistes n’a pas été pris en compte. D’où l’impasse qui se dessine à
l’horizon du désert libyen.
Aux dernières nouvelles, les négociations ne peuvent aboutir que si elle
se situent au niveau N-1. L’histoire personnelle des chefs du CNT, trop
proches du guide de la Jamahiriya, fait que toute discussion est
techniquement impossible. La petite histoire raconte que certains des
chefs actuels du CNT auraient lavé les pieds de Kadhafi en signe de
soumission alors qu’ils étaient sous ses ordres. Décidément, la
réflexologie n’adoucit pas les mœurs, quelle que soit la latitude.
Et l’opération qui ne devait durer que quelques jours va entamer son
quatrième mois depuis le vote de la résolution 1973 de l’ONU.
Ciret-Avt :CIRET-AVT a été fondé en juillet 2003 par Mesdames
Anne-Marie Lizin sénatrice de Belgique , Saida Benhabiles , ancienne
ministre algérienne et Monsieur Yves Bonnet , ancien directeur de la DST
, préfet français honoraire. L’objet du CIRET-AVT était et reste
l’étude de l’ensemble des problèmes liés au terrorisme , ses causes ,
ses développements , ses conséquences , dans le cadre de toute la
documentation ouverte sur le sujet . site webCF2R : Fondé en 2000, le CENTRE FRANÇAIS DE RECHERCHE SUR LE
RENSEIGNEMENT (CF2R) est un Think Tank spécialisé sur l’étude de
l’ensemble des domaines historiques, techniques et politiques du
renseignement.
site webRapport du Ciret et CF2R sur la situation en Libye