Pour le quotidien conservateur italien, l'aventure libyenne du
président français est un échec patent. Même si le Parlement a choisi de
reconduire les opérations menées contre le régime Kadhafi, la façon
dont elle a été menée n'a pas permis d'atteindre l'objectif fixé.
Kadhafi peut rester, dans une autre pièce de son palais, avec un autre
titre." L'auteur de cette déclaration n'est pas le Premier ministre
russe, Vladimir Poutine, ni son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan,
mais – aussi surprenant que cela puisse paraître – Gérard Longuet, le
ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy. Même l'Agence France-Presse,
qui la rapporte, parle de "revirement". Ce changement de cap ébauché par
Longuet pourrait signifier une victoire substantielle pour le colonel
Kadhafi et n'est autre qu'une remise en cause sévère de la stratégie de
la France (mais aussi du Royaume-Uni, des Etats-Unis et donc de l'Otan),
qui, jusqu'à présent, a dicté la guerre en Libye.
L'opération militaire visait à éliminer (y compris physiquement) le raïs, à retirer
toute légitimité au gouvernement de Tripoli et à reconnaître le Conseil
national de transition (CNT) de Benghazi comme seul gouvernement
légitime du pays. Ces objectifs se sont révélés irréalisables, eu égard à
la prévisible résistance de Kadhafi – mais ni Sarkozy, ni le Premier
ministre anglais David Cameron, ni Barack Obama ne l'avaient prévue – et
à l'incompétence manifeste de ce Conseil national de transition.
Maintenant, Paris – ou, du moins, Gérard Longuet –, ayant pris acte de
l'impasse dans laquelle se trouvent les opérations et alors que le
Parlement devait voter [le mardi 12 juillet] la poursuite de la mission
française, veut donc que cette guerre finisse au plus vite. Conclure la
mission dans cette situation aurait un coût politique très élevé,
puisque le ministre français a ouvertement suggéré l'hypothèse que
Kadhafi reste en Libye et garde un rôle central dans la vie du pays.
Le scénario ébauché par le ministre de la Défense suppose de fait
l'annulation du mandat de capture prononcé contre le raïs pour crimes
contre l'humanité – qu'a réclamé le Conseil de sécurité des Nations
unies au Tribunal de La Haye – et le rétablissement de la respectabilité
politique de Kadhafi. Ce tournant est motivé par une constatation
cruciale que Gérard Longuet synthétise de la sorte : "Maintenant les
deux camps peuvent se parler parce qu'il a été amplement démontré qu'il
n'y a aucune possibilité de sortir de la crise libyenne en recourant à
la force." Pour la première fois, on assiste à un formidable démenti des
promesses avancées (y compris par Longuet lui-même) stipulant que le
"recours à la force" pouvait provoquer une défaite entière, rapide,
inéluctable du colonel Kadhafi. Les déclarations du ministre français
montrent aussi une prise de distance vis-à-vis des positions soutenues
par Conseil national de transition de Benghazi. Ainsi conclut le
ministre français : "Nous avons demandé aux deux camps de se parler,
parce que, selon nous, le moment est arrivé de s'asseoir autour d'une
table. Nous autres de l'OTAN, nous arrêterons de bombarder dès que les
Libyens parleront entre eux et que les militaires de tous bords
rentreront dans leur caserne."
Un élément demeure toutefois peu
clair : on ne sait pas si Gérard Longuet parle au nom du président de la
République, Nicolas Sarkozy, ou si, au contraire, il se fait le
porte-parole des positions de l'armée, qui depuis le début a émis des
doutes sur les possibilités de réussite d'une guerre de ce genre. Ce qui
est sûr, c'est que Saïf Al-Islam, le fils "réformateur" de Kadhafi, a
immédiatement confirmé, en substance, le discours de Longuet, en
soutenant que Sarkozy avait personnellement reçu un émissaire de Kadhafi
(fait démenti par Paris). Selon lui, le président français aurait dit :
"C'est nous qui avons créé le CNT de Benghazi et, sans notre soutien,
notre argent et nos armes, ce Conseil n'existerait pas." Evidemment, ces
propos ont été immédiatement démentis par l'Elysée. Saïf Al-Islam a
conclu son interview à un journal algérien en expliquant que, désormais,
les négociations n'impliquaient que Paris et Tripoli. Le CNT de
Benghazi en est, de fait, exclu et devra s'adapter aux décisions prises.