Le recyclage des hommes de Ben LadenEnnemis de l’OTAN en Irak et en Afghanistan, alliés en Libye
par Webster G. Tarpley
«
Des serpents, la soif, la chaleur et le sable, seule la Libye
peut présenter cette multitude de malheurs qui pousserait tout homme à la fuir. »
Lucain,
La PharsaleL’actuelle opération militaire contre la Libye a été motivée par la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU [1]
et a pour objectif de protéger les civils. Les déclarations du
président Obama, du Premier ministre britannique David Cameron, du Président Sarkozy [2],
et d’autres dirigeants ont souligné la nature humanitaire de cette
intervention, qui a officiellement pour but d’empêcher le massacre de
forces pro-démocratiques et de partisans des droits de l’homme par le régime de Kadhafi.
Mais dans le même temps, de nombreux commentateurs ont manifesté une
certaine anxiété en raison du mystère entourant le gouvernement de
transition anti-Kadhafi qui a vu le jour au début du mois de mars dans
la ville de Benghazi située dans le district cyrénaïque au nord-est de
la Libye. Ce gouvernement a déjà été reconnu par la France et le
Portugal comme le seul représentant légitime du peuple libyen. Le
Conseil des rebelles semble se composer d’un peu plus de 30 délégués,
dont la plupart restent entourés d’un halo de mystère. De plus, les
noms de plus d’une douzaine de membres de ce Conseil sont tenus secrets,
prétendument pour protéger ces personnes de la vengeance [éventuelle]
de Kadhafi. Mais il pourrait bien y avoir d’autres raisons derrière ce
secret entourant leur identité. Malgré les nombreuses incertitudes, les
Nations unies et une bonne partie des nations clés de l’OTAN, dont les
USA, se sont empressées d’aider les forces rebelles au moyen de frappes
aériennes, ce qui a mené à la perte d’un ou deux avions de la Coalition
avec la perspective de pertes bien plus lourdes surtout en cas
d’invasion [terrestre]. Il est grand temps que les États-uniens et les
Européens en sachent un peu plus au sujet de ces rebelles qui sont
supposés représenter une alternative démocratique et humanitaire au
régime de Kadhafi.
Il est clair que les rebelles ne sont pas des civils, mais bien une force armée. Quel genre de force armée ?
Étant donné la difficulté d’étudier les chefs rebelles depuis
l’étranger, et puisque le profil sociologique des rebelles est
impossible à établir au beau milieu de cette guerre, peut-être que la
méthode typiquement utilisée en histoire des sociétés peut être appelée à
la rescousse. Existe-t-il un moyen de savoir exactement quel climat
d’opinion prévaut dans ces villes du nord-est de la Libye, comme
Benghazi, Tobrouk ou Darna, qui représentent les foyers de la rébellion ?
Une étude « West Point » datant de décembre 2007 s’est penchée sur le
profil des combattants étrangers de la guérilla, et a établi que des
djihadistes ou des Moudjahidins, certains étant des kamikazes
potentiels, ont traversé la frontière syrienne pour se rendre en Irak
pendant la période 2006-2007, le tout étant supervisé par l’organisation
terroriste internationale al-Qaida. Cette étude se base sur près de 600
fiches du « personnel » saisies par les Forces US à l’automne 2007,
puis analysées à West Point à l’aide d’une méthodologie que nous aurons
l’occasion d’examiner après en avoir présenté les principales
conclusions. Les résultats de cette étude [Document à télécharger au bas
de cette page] ont permis de découvrir certains traits prédominants
dans la mentalité et les structures de croyance des populations du
Nord-Est libyen, et ont permis de déterminer quelques points importants
sur la nature politique de la révolte anti-Kadhafi dans cette région.
Darna, nord-est de la Libye : Capitale mondiale des djihadistesLa découverte majeure à laquelle a mené cette étude de West Point est
que le couloir allant de Benghazi à Tobrouk, en passant par la ville de
Darna (aussi épelée Derna) représente l’une des plus grandes
concentrations au monde de terroristes djihadistes, et peut être
considérée comme la première source de candidats à l’attentat kamikaze,
tous pays confondus. Darna, avec une proportion de 1 combattant
terroriste envoyé en Irak «
tuer de l’États-unien » pour 1 000 à
1 500 habitants, semble être le paradis des kamikazes, dépassant de loin
son compétiteur le plus proche, à savoir Riyad, en Arabie Saoudite.
D’après les auteurs du rapport de West Point, Joseph Felter et Brian
Fishman, l’Arabie Saoudite occupe la première place si l’on considère le
nombre absolu de djihadistes envoyés en Irak combattre les USA et les
membres de la Coalition pendant la période en question. La Libye, dont
la population représente moins du quart de celle de l’Arabie Saoudite,
occupe la deuxième place. L’Arabie Saoudite a envoyé 41 % des
combattants. D’après Felter et Fishman, «
La Libye était le suivant
dans la liste des pays d’origine, avec 18,8 % (112) des combattants
provenant de ce pays, parmi ceux qui ont précisé leur nationalité. »
D’autres pays bien plus peuplés restaient loin derrière :
«
La Syrie, le Yémen et l’Algérie étaient les suivants avec respectivement
8,2 % (49), 8,2 % (48) et 7,2 % (43). Les Marocains représentaient 6,1 %
(36) des effectifs et les Jordaniens 1,9 % (11). ».
Cela signifie qu’au moins 1/5 des combattants étrangers entrant en
Irak à travers la frontière syrienne venaient de Libye, un pays peuplé
d’à peine 6 millions d’habitants. La proportion d’individus désireux de
combattre en Irak était bien plus importante parmi les Libyens que pour
n’importe quel autre pays appuyant les moudjahidines. Felter et Fishman
on souligné le fait que «
presque 19 % des combattants dans les
dossiers de Sinjar, venaient de la seule Libye. De plus, la Libye a
proportionnellement bien plus contribué que n’importe quelle autre
nation, d’après les dossiers de Sinjar, même par rapport à l’Arabie Saoudite. »
Nombre de combattant par million d’habitant.
Source : Joseph Felter et Brian Fishman
Mais étant donné que les dossiers sur le personnel d’al-Qaïda
contiennent le lieu de résidence des combattants étrangers, nous avons
la preuve que l’envie de se rendre en Irak pour « tuer de
l’États-unien » n’est pas répartie uniformément en Libye, mais se
concentre tout particulièrement précisément dans les zones entourant
Benghazi qui forment aujourd’hui l’épicentre de cette révolte contre le
colonel Kadhafi que les USA, la Grande-Bretagne et la France soutiennent
avec tant d’enthousiasme.
Comme le note [le journaliste] Daya Gamage dans un récent article d’
Asia Tribune à propos de l’étude de West Point, « …
chose
inquiétante pour les stratèges politiques occidentaux, la plupart des
combattants venaient de l’est de la Libye, précisément du foyer de
l’actuelle insurrection contre le colonel Kadhafi. D’après le rapport de
West Point, la ville de Darna située dans l’Est libyen a envoyé en Irak
plus de combattants que n’importe quelle autre ville [de Libye]. Il
fixe à 52 le nombre de combattants qui sont arrivés en Irak en
provenance de Darna, une ville de tout juste 80 000 habitants (le 2e
contributeur étant la ville de Riyad en Arabie Saoudite, ville qui
compte plus de 4 millions d’habitants). Benghazi, la capitale du
gouvernement provisoire libyen choisie par les rebelles anti-Kadhafi, en
a envoyé 21, là aussi un chiffre disproportionné par rapport à sa population. » [3]
Darna la mystérieuse a dépassé sur le fil la métropole de Riyad avec 52
combattants contre 51. Tripoli, la place forte de Kadhafi, en revanche,
n’apparait pas du tout dans les statistiques.
Ville de résidence des combattants libyensSource : Joseph Felter et Brian Fishman
Comment expliquer l’extraordinaire concentration de combattants
anti-US à Benghazi et à Darna ? La réponse semble liée aux écoles «
extrémistes » en théologie et en politique qui fleurissent dans cette région. Comme le note le rapport de West Point : «
Darna comme Benghazi sont depuis longtemps associées avec le militantisme islamique en Libye. »
Ces zones sont en conflit idéologique et tribal avec le pouvoir central
du Colonel Kadhafi, en plus de lui être politiquement opposé. La
question de savoir si ce conflit théologique mérite la mort de soldats
états-uniens ou européens appelle de fait une réponse rapide.
Fleter et Fishman remarquent qu’«
une large majorité des
combattants libyens parmi ceux qui ont précisé leur ville d’origine dans
les fichiers de Sinjar habite au nord-est du pays, en particulier dans
la ville côtière de Darna avec 62, 5% (52) et celle de Benghazi avec
23,9 % (21). Toutes deux sont depuis longtemps associées au militantisme
islamique en Libye, en particulier au travers d’un soulèvement
[organisé] par des organisations islamistes au milieu des années 1990.
Le gouvernement libyen a accusé des « infiltrés » venant du Soudan et de
l’Égype d’avoir fomenté cette révolte, ainsi qu’un groupe – le Libyan
Islamic Fighting Group (jama-ah al-libiyah al-muqatilah) –connu pour
compter dans ses rangs des vétérans afghans. Les insurrections libyennes
furent extrêmement violentes. » [4]
L’Est de la Libye : La plus grande concentration de candidats kamikazesUn autre aspect tout à fait remarquable de la contribution libyenne à
la guerre contre les Forces US en Irak est la propension marquée de
Libyens du Nord-Est à choisir l’attentat suicide à la bombe comme
méthode privilégiée de combat. Comme le rapporte l’étude de West Point,
«
parmi les 112 combattants libyens fichés, 54,4 % (61) ont précisé
la nature de leur mission. Parmi eux, 85,2 % (51) ont inscrit
« attentat suicide à la bombe » pour décrire le but de leur venue en Irak. » [5]
Ce qui signifie que les Libyens du Nord-Est sont bien plus enclins à se
faire exploser que tous les combattants venant d’autres pays. «
Les
combattants libyens étaient beaucoup plus fréquents dans la liste des
candidats kamikazes que pour toute autre nationalité (85 % pour les
Libyens, 56 % pour tous les autres). » [6]
En 2007, l’organisation anti-Kadhafi dénommée Groupe islamique combattant en Libye
(GICL) fusionne avec al-QaïdaLa base institutionnelle dédiée au recrutement des combattants de la
guérilla dans le Nord-Est de la Libye est associée avec une organisation
qui s’appelait auparavant le Groupe islamique combattant en Libye
(GICL) [الجماعة الليبية المقاتلة]. Pendant l’année 2007, le GIAL s’est
lui-même officiellement déclaré comme franchise d’al-Qaida, et a changé
son nom en «
Al-Qaïda au Maghreb Islamique » (AQMI) [تنظيم
القاعدة في بلاد المغرب الإسلامي]. La conséquence de cette fusion en 2007
fut qu’un nombre croissant de combattants de la guérilla se rendit en
Irak en provenance de la Libye. D’après Felter et Fishman, «
l’apparent
afflux de recrues arrivant en Irak pourrait être lié à une
collaboration toujours plus étroite entre le GICL et al-Qaida, qui a
abouti le 3 novembre 2007 à la fusion officielle entre le GICL et al-Qaida. » [7]
Cette fusion est confirmée par d’autres sources : en 2008, une
déclaration attribuée à Ayman al-Zawahiri confirmait que le Groupe
islamique combattant en Libye ( avait rejoint al-Qaïda [8].
L’émir terroriste vante le rôle-clef de Benghazi et de Darna au sein d’al-QaidaLe rapport de West Point établit clairement que les principales
places fortes du GICL — devenu plus tard AQMI — étaient les deux villes
de Benghazi et Darna. Ceci est illustré par une déclaration d’Abu Layth
al-Libi, le très particulier «
émir » du GICL, qui deviendra plus
tard l’un des leaders d’al-Qaïda. Au moment de la fusion de 2007, Abu
Layth al-Libi, l’émir du GICL souligna l’importance de la contribution
de Benghazi et de Darna dans le djihadisme islamique, en déclarant : «
C’est
par la grâce d’Allah que nous hissons la bannière du djihad contre ce
régime hérétique, sous la direction du Groupe islamique combattant en
Libye ( qui a sacrifié l’élite de ses fils et de ses officiers pour
combattre ce régime, et dont le sang fut versé dans les montagnes de
Darna, les rues de Benghazi, les banlieues de Tripoli, le désert de Saba
et les sables des plages. » [9]
Ammar Ashur al-Rufayi dit « Abou Laith le Libyen (al-Libi) » (1967-2008),
participa adolescent à la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan,
sous l’autorité d’Oussama Ben Laden et de la CIA. Dans les années 90, il
devint commandant du Groupe islamique combattant en Libye (GICL) et
assistant d’Ayman al-Zahwari. Il a participé au complot d’al-Qaida qui
échoua à assassiner le colonel Kadhafi en 1994. Ultérieurement, un agent
du contre-espionnage britannique, David Shayler, révéla que cette
opération était commanditée par les services de Sa Majesté. Abou Laith
le Libyen est réputé avoir organisé le commando suicide qui attaqua la
base militaire aérienne US de Bagram (Afghanistan), le 27 février 2007
au cours de la visite du vice-président Cheney. Sa tête fut mise à prix 5
millions de dollars. Il fut ultérieurement abattu par un drone de la CIA.La conséquence de la fusion de 2007 fut que les recrues libyennes
d’al-Qaida prirent une importance croissante dans l’activité de
l’ensemble de l’organisation, déplaçant ainsi son centre de gravité en
l’éloignant des Saoudiens et des Égyptiens qui étaient beaucoup plus
prépondérants avant cela. Comme le notent Felter et Fishman, «
les
factions libyennes (principalement le Groupe islamique combattant en
Libye) ont pris une importance croissante au sein d’al-Qaïda. Les
fichiers de Sinjar montrent que de plus en plus de Libyens sont partis
combattre en Irak à partir de mai 2007. La plupart des recrues libyennes
provenaient de villes du Nord-Est de la Libye, une zone connue depuis
longtemps comme étant liée à la mouvance djihadiste. » [10]
L’étude de West Point rendue en 2007 conclut en formulant quelques
options politiques pour le gouvernement US. Une approche possible,
suggérée par les auteurs, serait que les États-Unis coopèrent avec les
actuels gouvernements arabes pour contrer les terroristes. Comme
l’indiquent Felter et Fishman, «
les gouvernements libyens et syriens
partagent cette même préoccupation américaine d’une idéologie
djihadiste salafiste violente, et d’actes violents perpétrés par ses
membres. Ces gouvernements, comme d’autres au Proche-Orient, redoutent
la violence sur leur sol et préfèreraient de loin que les éléments
radicaux aillent en Irak plutôt que de causer des troubles « à la
maison ». Les efforts des USA et de la Coalition pour endiguer le flot
de combattants se rendant en Irak seraient plus efficaces s’ils
prenaient en compte l’ensemble de la chaine logistique qui permet de
déplacer ces individus — en commençant par leur pays d’origine — plutôt
que de s’occuper simplement des points d’entrée syriens. Les USA
devraient être en mesure d’augmenter la coopération des gouvernements
pour mettre un frein au flot de combattants se rendant en Irak, en les
aidant à résoudre leurs propres problèmes locaux de violence djihadiste. » [11]
Compte tenu de ce qui s’est produit par la suite, nous pouvons affirmer
que ce n’est pas cette option qui a été choisie, ni à la fin de l’ère
Bush, ni durant la première moitié du mandat d’Obama.
L’étude de West Point fournit également une autre option, plus
sinistre. Felter et Fishman laissent entendre qu’il est possible en
Libye d’utiliser les anciennes factions du GICL d’al-Qaida contre le
gouvernement du colonel Kadhafi, essentiellement en créant une alliance
de facto entre les États-Unis et un segment de l’organisation terroriste. Le
rapport de West Point note que : « La fusion entre le Groupe islamique
combattant en Libye (GICL) et al-Qaida, et son apparente décision de
fournir en priorité un soutien logistique à l’État islamique d’Irak est
probablement une source de controverse au sein de l’organisation. Il ne
serait pas surprenant que certaines factions du GICL donnent toujours
priorité à la lutte contre le régime libyen par rapport au combat en
Irak. Il est sans doute possible d’exacerber les divisions au sein même
du GICL, et entre les leaders du GICL et ceux d’al-Qaida provenant de la
base traditionnelle saoudienne et égyptienne. » [12]
Cela correspond à la politique US que nous voyons aujourd’hui, celle
consistant en une alliance avec les fanatiques obscurantistes et
réactionnaires d’al-Qaida en Libye contre le colonel Kadhafi, un
réformateur de type nassérien.
Armer les rebelles : l’expérience de l’AfghanistanEn regardant la dramatique expérience des efforts US consistant à
mobiliser les populations d’Afghanistan contre l’occupation soviétique
dans les années 80, il devrait être clair que la politique de la
Maison-Blanche de Ronald Reagan s’attachant à armer les Moudjahidins
afghans de missiles Stinger et d’autres armements modernes s’est révélée
tragique pour les États-Unis. Comme semble pratiquement l’admettre
Robert Gates dans ses
Mémoires, al-Qaida fut créée pendant ces
années-là par les États-Unis comme une sorte de légion arabe pour aller
combattre la présence soviétique, avec les résultats à long terme
désastreux que l’on connait.
Aujourd’hui, il est clair que les États-Unis fournissent des armes
modernes aux rebelles libyens via l’Arabie Saoudite et à travers la
frontière égyptienne, avec le soutien actif de l’armée égyptienne et de
la nouvelle junte militaire pro-US installée dans ce pays [13].
Tout ceci se passe en violation directe de la résolution 1973 du
Conseil de sécurité, qui appelle à un embargo total des livraisons
d’armes à la Libye. On suppose que ces armes seront utilisées contre le
colonel Kadhafi dans les semaines qui viennent. Mais, étant donné la
nature violemment anti-US de la population du Nord-Est libyen qui est en
train d’être ainsi équipée, il n’est absolument pas certain que toutes
ces armes ne vont pas un jour ou l’autre être retournées contre ceux qui
les ont fournies.
Mais ce qui pose un problème encore plus important, c’est la conduite
d’un futur gouvernement libyen dominé par l’actuel conseil rebelle,
avec sa large majorité d’islamistes du Nord-Est, ou d’un gouvernement
similaire d’un éventuel futur État indépendant cyrénaïque. En supposant
qu’un tel régime aura accès aux revenus du pétrole, il est évident qu’un
certain nombre de problèmes de sécurité internationale se posent. [Le
journaliste] Daya Gamage écrit à ce propos : «
Dans le cas où la
rébellion réussit à abattre le régime de Kadhafi, elle aura accès direct
aux dizaines de milliards de dollars que Kadhafi est censé avoir caché
dans différents pays étrangers au cours de son règne de 40 ans. » [14] Vu la mentalité prévalant dans le Nord-Est de la Libye, on peut aisément imaginer à quoi seraient consacrés ces revenus.
Qu’est-ce qu’al-Qaida, et pourquoi la CIA l’a utilisée ?Al-Qaida n’est pas une organisation centralisée, mais plutôt une
espèce de rassemblement de fanatiques, de psychotiques , d’agents
doubles, de provocateurs, de mercenaires, etc… Comme expliqué plus haut,
al-Qaida fut fondée par les États-Unis et les Britanniques pendant la
guerre contre les Soviétiques en Afghanistan. La plupart de ses leaders,
comme le fameux commandant en second Ayman Zawahiri, ou l’actuelle star
montante Anwar Awlaki, sont clairement des agents doubles du MI-6 et/ou
de la CIA. La croyance fondamentale qui structure al-Qaida est que tous
les actuels gouvernements arabes ou musulmans sont illégitimes et
doivent être abattus, car il ne représentent pas le califat qu’al-Qaida
affirme lire dans le Coran. Cela signifie que l’idéologie d’al-Qaida
offre aux agences de renseignements un moyen simple et prêt à l’emploi
pour attaquer et déstabiliser les gouvernements arabes et musulmans en
place, dans le cadre de leur incessant besoin impérialiste et colonial
de piller et d’attaquer les nations en voie de développement. C’est
précisément ce qui se passe actuellement en Libye.
Al-Qaida a émergé du milieu politico-culturel des Frères musulmans, ou
Ikhwan,
lui-même créé par les services de renseignement britanniques en Égypte
dans les années 1920. Les USA et la Grande-Bretagne utilisèrent alors
les Frères musulmans égyptiens comme mouvement d’opposition aux
brillantes politiques anti-impérialistes du président égyptien Nasser,
qui remportait d’immenses victoires pour son pays en nationalisant le
Canal de Suez et en bâtissant le barrage d’Assouan sans lequel l’Égypte
moderne était inconcevable. Les Frères musulmans ont fourni contre
Nasser une sorte de «
5e colonne » active et efficace, constituée
d’agents étrangers, exactement comme al-Qaida au Maghred Islamique
(AQMI) clame haut et fort son soutien à la rébellion contre le colonel Kadhafi.
Je parle en détail de la nature d’al-Qaida dans mon récent ouvrage intitulé
La Terreur Fabriquée, Made in USA [15],
et je ne vais pas répéter cette analyse ici. Je me contenterai de
rappeler que nous n’avons pas besoin de croire au mythe fantastique que
le gouvernement US a bâti autour de l’appellation «
al-Qaida »,
pour reconnaitre le fait avéré que les militants ou les déséquilibrés
qui rejoignent les rangs d’al-Qaida sont souvent sincères dans leur
haine et dans leur ardent désir de «
tuer de l’États-unien ou de l’Européen ».
La politique de l’administration Bush a utilisé la supposée présence
d’al-Qaida comme prétexte pour une attaque militaire directe contre
l’Afghanistan et l’Irak. L’administration Obama est en train de changer
cela, en intervenant aux côtés d’une rébellion dans laquelle al-Qaida et
ses alliés sont fortement représentés alors qu’ils s’attaquent au
régime autoritaire du colonel Kadhafi en place depuis des dizaines
d’années. Ces deux politiques mènent à coup sûr à la faillite, et
doivent être abandonnées.
Les chefs des rebelles, Jalil et Younis, comme la
plupart de ceux formant le Conseil des rebelles sont membres de la tribu
Harabi liée avec al-Qaïda
Le résultat de la présente enquête est que la branche libyenne
d’al-Qaida représente un continuum du Groupe islamique combattant en
Libye installé à Darna et à Benghazi. La base ethnique du GICL est
apparemment constituée par la tribu Harabi [profondément] anti-Kadhafi,
d’où est issue la grande majorité du Conseil des rebelles, y compris
ses deux principaux leaders Abdul Fatah Younis et Mustafa Abdul Jalil.
Ces éléments montrent bien qu’en pratique, le Groupe islamique
combattant en Libye, l’élite de la tribu Harabi, et le Conseil des
rebelles soutenu par Obama sont très fortement imbriqués. Comme me le
disait il y a plusieurs années l’ex-ministre des Affaires étrangères de
la République du Guyana et président de l’Assemblée générale de l’ONU,
Fred Wills — qui fut un véritable combattant contre l’impérialisme et le
néo-colonialisme —, les formations politiques dans les pays en voie de
développement (et pas seulement là) masquent souvent des rivalités
ethniques ou religieuses ; c’est le cas en Libye. La rébellion contre
Kadhafi est un mélange toxique de haine fanatique contre Kadhafi,
d’islamisme, de tribalisme, et de rivalités locales. De ce point de vue,
la décision d’Obama de prendre parti dans une guerre tribale est idiote.
Lorsqu’Hillary Clinton s’est rendue à Paris pour être présentée aux
rebelles libyens par le président Sarkozy, elle a rencontré le leader de
l’opposition libyenne Mahmoud Jibril, qui a reçu une éducation
états-unienne et était déjà connu des lecteurs de Wikileaks comme l’un
des [interlocuteurs] préférés des États-Unis. [16]
Si Jibril peut être considéré présentable à Paris, les vrais meneurs
de l’insurrection libyenne sont en réalité Jalil et Younis, tous deux
ex-ministres de Kadhafi. Parmi les deux, Jalil semble bien être le chef,
du moins pour l’instant : «
Mustafa Abdul Jalil ou Abdul-Jalil (en
arabe : مصطفى عبد الجليل, qui peut aussi s’écrire Abdul-Jelil,
Abd-al-Jalil, Abdel-Jalil ou Abdeljalil, et aussi parfois, mais de façon
erronée Abud Al Jeleil) est un politicien libyen né en 1952. Il fut
ministre de la Justice (et de façon non officielle, secrétaire du Comité
général du peuple) du colonel Mouammar Kadhafi (…) Abdul Jalil a été
identifié comme le président du Conseil national de transition basé à
Benghazi, bien que ce poste lui soit contesté par d’autres éléments
parmi les rebelles, en raison de ses connexions passées avec le régime de Kadhafi. » [17]
Concernant Younis, il a été étroitement lié à Kadhafi depuis sa prise de pouvoir en 1968-1969. «
Abdul
Fatah Younis (en arabe : عبد الفتاح يونس) est un haut gradé de l’armée
libyenne. Il portait le rang de général, et a occupé le poste de
ministre de l’Intérieur avant de démissionner le 22 février 2011… » [
Ibid.]
Ce qui devrait le plus nous inquiéter est qu’aussi bien Jalil que
Younis appartiennent à la tribu Haribi, majoritaire dans le Nord-Est de
la Libye, qui est précisément celle qui se recoupe avec al-Qaida.
D’après l’agence Stratfor, « …
la tribu Harabi est historiquement un
ensemble puissant de clans de l’Est libyen qui a vu son influence
décliner sous Kadhafi. Le leader libyen a en effet confisqué des terres
arables aux membres de cette tribu pour les attribuer à d’autres clans
plus faibles, mais plus loyaux…La plupart des leaders de l’Est libyen
émergeant aujourd’hui proviennent de la tribu Harabi, y compris les
chefs du gouvernement provisoire installé à Benghazi, Abdel Mustafa
Jalil, et Abdel Fatah Younis, qui ont eu un rôle-clef dans la défection
de certains militaires au début de l’insurrection. » [18]
C’est un peu comme une course à la présidentielle où les deux candidats
seraient issus du même État, sauf que les féroces rivalités tribales
aggravent considérablement le problème.
Conseil des rebelles : La moitié des noms restent secrets. Pourquoi ?Même si l’on regarde le Conseil des rebelles dans sa globalité,
l’image d’une base régionale, sectaire et étroite ne s’améliore pas,
loin de là. D’après une description récente qui en est faite, le Conseil
des rebelles est «
présidé par un ex-ministre libyen de la justice, à
la bonne réputation, Mustafa Abdul Jalil, et est formé de 31 membres,
censés représenter tout le pays, mais dont les noms ne peuvent pas être
divulgués pour des ‘’raisons de sécurité’’ » … «
Les principaux
membres du Conseil, du moins ceux que nous connaissons, appartiennent
tous à la confédération de tribus Harabi du Nord-Est libyen. Ces tribus
ont de fortes connexions avec Benghazi remontant à avant même la
révolution de 1969 qui amena Kadhafi au pouvoir. » [19] D’autres articles confirment le nombre de représentants : «
Le
Conseil est constitué de 31 membres ; l’identité de plusieurs de ces
membres n’a pas été rendue publique afin de préserver leur sécurité. » [20]
Etant donné tout ce que nous savons sur l’extraordinaire densité de
combattants du GICL et de fanatiques d’al-Qaïda dans le Nord-Est libyen,
il nous parait légitime de nous demander si l’identité de tous ces
membres du Conseil est véritablement gardée secrète pour les protéger
de Kadhafi, ou bien si ce n’est pas plutôt pour éviter que leurs noms ne
soient reconnus par l’Occident comme étant ceux de terroristes ou de
sympathisants d’al-Qaïda. La dernière hypothèse semble bien plus proche
de la situation actuelle.
Les noms divulgués à ce jour sont : Mustafa Abduljaleel ; Ashour
Hamed Bourashed, représentant la ville de Darna ; Othman Suleiman
El-Megyrahi, pour la région de Batnan ; Al Butnan, pour la zone
frontalière avec l’Égypte et Tobrouk ; Ahmed Abduraba Al-Abaar, pourla
ville de Benghazi ; Fathi Mohamed Baja, pour Benghazi ; Abdelhafed
Abdelkader Ghoga, pour Benghazi ; M. Omar El-Hariri pour les Affaires
militaires ; et Dr. Mahmoud Jibril, Ibrahim El-Werfali et Dr. Ali Aziz
Al-Eisawi pour les Affaires étrangères. [21]
Le Département d’État devrait interroger ces personnes, en commençant
peut-être par Ashour Hamed Bourashed, le délégué pour la ville de
Darna, place-forte des terroristes et des candidats à l’attentat kamikaze.
Combien de membres, de vétérans ou de sympathisants d’al-Qaïda
font partie du Conseil des rebelles ?Tout ce que l’on peut savoir à travers le brouillard de la guerre,
c’est qu’au moins une douzaine de membres du Conseil ont vu leurs noms
publiés officiellement —en tout cas, pas plus de la moitié de ses 31
membres—. Les médias US et européens n’ont pas cherché à identifier pour
nous tous ces noms que nous connaissons maintenant, mais surtout ils
n’ont pas cherché à attirer l’attention sur cette majorité [obscure] du
Conseil des rebelles qui continue d’agir dans le secret le plus total.
Par conséquent, nous devons exiger de connaitre le nombre de membres, de
vétérans ou de sympathisants du GICL et d’al-Qaida qui appartiennent à
ce Conseil des rebelles.
Nous sommes actuellement les témoins d’une tentative de prise de
pouvoir de la tribu Harabi sur les 140 autres tribus libyennes. Les
Harabi ont déjà pratiquement l’hégémonie du pouvoir dans la région
cyrénaïque. Au cœur de la confédération Harabi, on trouve le clan
El-Obeidat, qui est lui-même divisé en 15 sous-clans. [22]
Toutes ces considérations pourraient être d’un pur intérêt académique,
s’il n’y avait cette évidente intersection entre d’une part les tribus
Harabi et d’autre part le GICL et al-Qaïda.
Le mouvement Senussi en Libye – monarchiste ou démocratique ?
La tradition politico-religieuse au Nord-Est de la Libye fait de
cette région un terreau propice aux sectes musulmanes les plus extrêmes,
et la prédispose également à la monarchie bien plus qu’aux formes plus
modernes de gouvernement voulues par Kadhafi. La tradition régionale
prédominante est celle de l’ordre Sanussi (ou Senussi), une secte
musulmane qui s’oppose à l’Occident. En Libye, l’ordre Senussi est
étroitement lié à la monarchie, et ce, depuis le Roi Idris —ce dirigeant
installé au pouvoir par les Britanniques en 1951 et qui fut renversé
par Kadhafi en 1969— et qui était le chef de l’ordre Senussi. Dans les
années 1930, les Senussi ont organisé la rébellion contre les colons
italiens emmenés par le maréchal Rodolfo Graziani et son armée.
Aujourd’hui, les rebelles utilisent le drapeau de la monarchie, et
pourraient préconiser le retour sur le trône d’un des deux prétendants
appartenant à la lignée d’Idris. [En somme], ils sont bien plus proches
de la monarchie que de la démocratie.
Le Roi Idris, révéré par les actuels rebelles libyens Voici la vision que l’agence Stratfor a du Roi Idris et des Senussi :
«
Le Roi Idris appartient à une lignée de dirigeants issus de l’ordre
Senussi, un ordre religieux soufi fondé en 1842 à Al Bayda qui pratique
une forme austère et conservatrice de l’islam. La Sanussie
représentait, avant la création de l’État moderne de Libye, une force
politique dans la région cyrénaïque, et conserve toujours une certaine
influence aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si cette région est le
foyer du djihadisme libyen, avec des groupes comme le Groupe islamique
combattant en Libye (GICL). Le clan Kadhafi a de fait qualifié la
révolte actuelle de complot islamique élaboré… » [23]
Sous la monarchie, la Libye était selon certaines estimations, le pays
le plus pauvre au monde. Aujourd’hui, elle figure en 53e position dans
l’Indice de développement humain de l’ONU. Devançant la Russie, le
Brésil, l’Ukraine et le Vénézuéla, elle est de surcroit le pays le plus
développé d’Afrique. Le règne de Kadhafi a quelques mérites objectifs
qui peuvent difficilement lui être niés.
Le
Black Agenda Report de Glen Ford a illustré très justement
le caractère raciste et réactionnaire de l’insurrection libyenne. Les
tribus du Sud libyen, connues sous le nom de Fezzan, ont la peau brune.
La base tribale sur laquelle s’appuie le régime de Kadhafi consiste en
une alliance des tribus de l’Ouest, du Centre et du Sud (les Fezzans),
qui s’opposent aux Harabi et aux El-Obeidat, qui elles s’identifient à
l’ex-classe dirigeante du temps de la monarchie. Les Harabi et les
El-Obeidat sont connus pour nourrir de forts sentiments racistes à
l’encontre des Fezzans. Cela transparait dans plusieurs articles
diffusés dans des médias pro-impérialistes dès le début de
l’insurrection, et bien évidemment inspirés par des responsables Harab,
selon lesquels les personnes à la peau noire présentes en Libye doivent
être traitées comme des mercenaires à la solde de Kadhafi —et doivent
par conséquent être exterminées—. Ces propos racistes sont encore
répétés par quelques bonimenteurs comme Anne-Marie Slaughter la doyenne
de l’École Woodrow Wilson à l’université de Princeton [et ex-directrice
de la planification du département d’Etat]. Et effectivement, un nombre
impressionnant de noirs africains venant du Tchad ou d’autres pays et
travaillant en Libye ont été systématiquement lynchés et massacrés par
les forces anti-Kadhafi. La Maison-Blanche d’Obama, qui affiche sa
volonté de ne pas voir se reproduire [en Libye] les massacres du Rwanda,
a soigneusement ignoré cette histoire effroyable de génocide perpétré
par ses nouveaux amis de la région cyrénaïque.
Face à l’obscurantisme des Senussi, Kadhafi a misé sur l’équivalent
musulman du sacerdoce de tous les croyants, expliquant que le Califat
n’était pas nécessaire pour découvrir le vrai sens du Coran. Il a
complété cela par une perspective panafricaine. Gerald A. Perreira du
Black Agenda Report écrit la chose suivante à propos de la division théologique entre
Kadhafi et les néo-Senussi du Nord Libyen ou d’autres clans
obscurantistes : «
Al-Qaïda est présente dans le Sahara et à ses
frontières, et l’Union internationale des érudits musulmans exige que
Kadhafi soit amené devant les tribunaux…[De son côté] Kadhafi a remis en
cause l’islam des Frères musulmans et d’al-Qaida d’un point de vue
coranique et théologique ; c’est l’un des seuls leaders politiques
capables de faire cela. Benghazi a toujours été au cœur de la
contre-révolution en Libye, accueillant les mouvements islamiques
réactionnaires comme les wahhabites et les salafistes. Ce sont ces
individus qui ont formé le Groupe islamique combattant en Libye basé à
Benghazi, qui s’est rallié à al-Qaida, et s’est rendu responsable au fil
des années, de l’assassinat de plusieurs membres du Comité libyen de la
révolution. » [24] Et quel serait, par exemple, le statut des femmes
sous le régime néo-Senussi du Conseil des rebelles de Benghazi ?
Al-Qaïda, du démon à l’allié des USA en LibyePour ceux qui tentent de suivre les changements dans la façon dont la
CIA gère les différentes organisations fantoches au sein du présumé
terrorisme islamique, il n’est pas inutile de retracer la transformation
du GICL-AQMI qui est passé d’ennemi mortel à proche allié. Ce phénomène
est étroitement lié au renversement général des fronts idéologiques de
l’impérialisme US qui marque le passage de l’administration
Bush-Cheney-néoconservateurs, au régime actuel
Obama-Brzezinski-International Crisis Group. L’approche de Bush
consistait à utiliser la supposée présence d’al-Qaïda dans un pays pour
justifier d’une attaque militaire directe. La méthode Obama consiste [au
contraire] à utiliser al-Qaida pour renverser les gouvernements
indépendants, et ensuite, soit à séparer les populations et à fragmenter
les pays en question, soit à les utiliser comme des pions kamikazes
face à des ennemis bien plus forts, comme la Russie, la Chine ou l’Iran.
Cette approche nécessite une fraternisation plus ou moins ouverte avec
les groupes terroristes, qui a commencé à apparaitre dans le fameux
discours d’Obama au Caire en 2009 [25].
Les liens entre la campagne d’Obama et les organisations terroristes
déployées par la CIA contre la Russie étaient déjà dans le domaine
public il y a trois ans. [26]
The New Republic a consacré son édition du 11 juin 2008 à préparer
l’opinion publique à un recyclage possible des hommes de Ben Laden. Mais un tel renversement ne s’improvise pas en une nuit ; cela a
nécessité plusieurs années de préparation. Le 10 juillet 2009, le
Daily Telegraph de Londres rapportait que le Groupe islamique combattant en Libye se
séparait d’al-Qaïda. Cela survint alors que les USA avaient décidé de
moins s’investir dans la guerre en Irak, et aussi de se préparer à
utiliser les Frères musulmans et autres sunnites d’al-Qaida pour
déstabiliser des principaux pays arabes en vue de les retourner contre
le régime chiite iranien. Paul Cruikshank a écrit à l’époque un article
dans le
New York Daily News à propos d’un des leaders du GICL qui
voulait que son mouvement mette fin à ses relations avec al-Qaida et
avec son infâme [chef] Oussama Ben Laden ; Il s’agissait de «
Noman
Benotman, un ex-chef du Groupe islamique combattant en Libye. Alors que
cela fait déjà longtemps que les principaux leaders musulmans critiquent
al-Qaïda, ces critiques sont désormais appuyées par celles venant des
jihadistes eux-mêmes. » [27] Pourtant dans le même temps,
certains chefs du GICL se sont ralliés à al-Qaïda : le
Daily Telegraph mentionnait ainsi que certains chefs d’al-Qaida comme Abu Yahya al-Libi
et Abu Laith al-Libi étaient des membres du GICL. À la même époque,
dans un geste humanitaire [d’ailleurs] peu judicieux, Kadhafi avait
décidé de relâcher des combattants du GICL.
À l’heure actuelle, des jihadistes du Nord-Est libyen tuent
des soldats US et de l’OTAN en Afghanistan
L’une des contradictions mortelles de la politique actuelle du
Département d’État et de la CIA, est qu’elle vise à mettre en place une
alliance cordiale avec des tueurs d’al-Qaida issus du Nord-Est libyen
[prétendument pour protéger les populations civiles], et qu’au même
moment, les USA et l’OTAN bombardent sans pitié les civils au Nord-Ouest
du Pakistan au nom de la guerre totale contre al-Qaida, et que les
forces US ou de l’OTAN se font tuer par des combattants d’al-Qaida dans
ce même théâtre d’opération afghano-pakistanais. La puissance de cette
contradiction flagrante menace l’ensemble de l’édifice de propagande de
guerre états-unien. Les USA ont abandonné depuis longtemps toute
moralité au profit de la force militaire.
En réalité, les terroristes combattants issus du Nord-Est libyen
pourraient bien être en train de tuer des soldats US ou de l’OTAN en
Afghanistan, pendant que les USA et l’OTAN protègent leurs maisons [des
assauts] du gouvernement du colonel Kadhafi. D’après le récit qui suit,
un haut dirigeant d’al-Qaida commandant le Nord-Ouest du Pakistan a été
tué lors d’une opération militaire états-unienne pas plus tard qu’en
octobre 2010 : «
Un important dirigeant qui a servi comme ambassadeur
d’al-Qaïda auprès de l’Iran, et qui est recherché par les USA, aurait
été tué il y a deux jours lors d’une frappe aérienne menée depuis un
drone Predator dans la zone pakistanaise contrôlée par des tribus
proches des Taliban au Nord-Waziristan (…) Il s’agissait d’Atiyah Abd al
Rahman, un ressortissant libyen qui était basé en Iran et avait servi
comme ambassadeur d’Oussama Ben Laden auprès des Mollahs. Des rapports
de presse non confirmés indiquent que Rahman a été tué lors d’une frappe
aérienne... » [28]
La page [du site Web] sur laquelle le Département d’État US affiche la
récompense pour la capture d’Atiyah Abd al Rahman précise que Rahman
avait été «
nommé par Oussama Ben Laden émissaire d’al-Qaida en Iran », et qu’Atiyah «
recrutait et aidait aux négociations avec les autres groupes islamistes pour qu’ils opèrent pour al-Qaïda » et qu’il était aussi «
membre du Groupe islamique combattant en Libye et de [Jamaat] Ansar al Sunna. » [29]
Rahman était suffisamment haut placé dans la hiérarchie d’al-Qaïda pour
se permettre en 2005 de donner des ordres à Abou Moussab Al-Zarkaoui,
le chef d’al-Qaida en Irak [30].
Une autre victime tombée au Pakistan est cet homme apparemment
originaire du Nord-Est libyen et connu sous le nom de guerre de Khalid
al Harabi, nom qui pourrait indiquer des origines liées au milieu
djihadiste des tribus Harabi en Cyrénaïque. D’après une source, «
Khalid
Al Harabi est aussi connu sous le nom de Khalid Habi, l’ex-chef
militaire d’al-Qaida qui fut tué par un tir de Prédator US en octobre
2008. » [Thomas Joscelyn et Bill Roggio,
op. cit.]
Le scénario dévoilé dans l’affaire David Shayler en 1995
se reproduit aujourd’huiDavid Shayler, un officier du MI-5, le service de contre-espionnage
britannique, apprit que son homologue du Renseignement extérieur MI-6
avait versé la somme de 100 000 £ à un membre d’al-Qaida en échange
d’une tentative d’assassinat de Kadhafi. La tentative eut bien lieu, et
occasionna la mort de nombreux passants innocents, mais échoua à
éliminer le dirigeant libyen. Ce que Shayler comprit du scénario est
qu’il incluait l’élimination de Kadhafi, suivie par la descente de la
Libye dans le chaos et les guerres tribales, avec la possibilité d’une
prise de pouvoir directe par al-Qaida elle-même. La situation pourrait
alors fournir un prétexte aux Britanniques, agissant probablement, mais
pas nécessairement de concert avec les USA ou d’autres pays, pour
envahir la Libye et prendre le contrôle des champs pétroliers, sans
doute en établissant un protectorat permanent des régions riches en
pétrole ou traversées par les pipelines, ainsi que la bordure côtière. [31] Cela reste l’objectif aujourd’hui.
En même temps que la tentative d’assassinat de Kadhafi, le MI-6 et
d’autres services secrets occidentaux fomentèrent une importante
insurrection dans le Nord-Est libyen, pratiquement dans la même zone où a
surgi la rébellion actuelle. Mais la révolte fut alors écrasée par les
forces de Kadhafi avant même la fin de l’année 1996. Les événements de
2011 sont simplement la répétition de l’attaque impérialiste contre la
Libye, 15 ans plus tard, avec en plus l’intervention étrangère.