Perplexités
Dimanche dernier, le réalisateur tunisien Ali Laâbidi a choisi de rendre hommage à sa ville natale Redeyef, dans le gouvernorat de Gafsa, par le cinéma. Il a en effet invité les journalistes, en présence des jeunes de la ville, à assister sur place, dans la maison de la culture, à l'avant-première de son quatrième long métrage intitulé La dernière heure. Ça s'est passé dans l'après-midi. Dans la matinée de la même journée, le réalisateur a eu le temps de faire visiter l'emplacement de ses futurs studios audio-visuels, dans le but d'y poser la pierre inaugurale sur laquelle on peut lire : «Unité de production cinématographique Tabedit», et ce, d'après le nom du village berbère où ces studios prennent pied. Ce projet qui devrait être fin prêt dans six mois, permettra, selon Ali Laâbidi, de créer des emplois à une vingtaine de jeunes techniciens diplômés de nos écoles de cinéma. D'un coût total d'un million de dinars, ces studios pourront accueillir toutes les étapes, tournage et post-production, de la réalisation d'œuvres télévisuelles et cinématographiques venant du monde entier, avec une préférence pour les documentaires, genre auquel le réalisateur dit vouloir se consacrer. En attendant, il prépare le scénario de son prochain film, Un après-midi dans le désert, dont le scénario est adapté du roman de Mustapha Tlili, qui porte le même nom. Le livre a valu à son auteur, qui vit entre New-York et Paris, le Comar d'Or en 2008. D'autres projets sont en cours pour Ali Laâbidi. Il vient d'obtenir le visa pour Redeyef. L’Association de l'environnement et du développement durable va se charger de l'organisation du Festival international du film documentaire écologiste, dont la première édition aura lieu au printemps 2011, à Redeyef. Le principal événement de cette journée dominicale reste la présentation, en avant-première, de La dernière heure. Un long voyage, plusieurs escales et un accueil chaleureux ont été ponctués par l'arrivée à la maison de la culture de Redeyef, pour assister à la projection, qui a duré 90 mn. Malheureusement, la déception était au rendez-vous et l'émotion du réalisateur ne pouvait rien y changer. Dès les premiers plans, on est abasourdi par la mauvaise qualité de l'image et du son. Plus tard, le réalisateur affirmera qu'à cause de l'appareil de projection, la pellicule a perdu près de 60% de sa qualité. Ne pouvait-on pas prévoir ce genre de contretemps, surtout qu’il a fallu faire le déplacement à Redeyef pour voir le film ? Bref, place à l'histoire. Elle commence devant la porte d'Aljarida, local d'un quotidien en mal de lecteurs et de financement. Les journalistes ne sont pas payés depuis 3 mois. Ils subissent toutes sortes de pressions pour produire des articles à scandale dans le domaine du spectacle ou de propagande politique. Tout le monde, du concierge au secrétaire de rédaction, exprime son découragement, voire son écœurement de la situation, avec un sur-jeu qui, on est bien obligé de le dire, frise le ridicule. Le décor d'Aljarida nous renvoie à une ambiance qui pourrait être celle des années 70. Pourtant, l'un des personnages lance : «Nous sommes à l'époque de l'Internet !». De grands posters de personnages symboliques sont placardés sur les murs, de Che Guevara à Maradona, qui défilent devant la caméra, avec une insistance sur le portrait de Habib Bourguiba et de la scène d'exécution de Saddam Hussein. Plus de doute, l'action se passe dans un contexte récent. Saber Hédi, interprété par Moncef Souissi, est un universitaire spécialisé dans l'histoire ancienne. C'est par erreur que Aljarida publie son article scientifique, qui présente une nouvelle lecture de l'histoire d'Hannibal et de son empoisonnement. Saber Hédi vient réclamer que le journal publie un erratum. Il peine à rencontrer le directeur du journal, Nadher Abou Ain, souvent absent, personnage joué par Ali Khemiri, présent lors de la projection. La rencontre entre les deux va se faire chez l'homme d'affaires Seïf Zahhaf (Mohamed Saïd), où Saber Hédi et son étudiante Ilhem Laarif (Rim Riahi) ont été emmenés de force. La raison ? Seïf Zahhaf est convaincu qu'il est visé par l'article qui dévoile, selon lui, les secrets de son commerce de contrebande depuis l'Orient et à travers le désert de Libye. Saber Hédi n'y comprend rien et se retrouve perdu dans les stratagèmes des autres personnages. Ce n'est pas le cas de son étudiante qui, futée, parvient à retourner la situation en faveur de son professeur et de la recherche scientifique. A la fin de l'aventure, tout est bien qui finit bien : un arrangement permet à Nadher Abou Ain de sauver le journal et à Saber Hédi de fonder l'association «Al Masreb Assahraoui», spécialisée dans l'histoire ancienne.
En deçà du premier degré !
La chute, qui donne l’impression d’être parachutée et peu vraisemblable, n’est que le dénouement d’un scénario truffé d’incohérences et qui manque d’enchaînement logique dans le déroulement des événements. C’est peut-être parce que le film pousse un peu trop loin le bouchon de la libre fiction, avec des personnages dont on ne montre que le caractère corrompu et démoniaque et qui, soudain, et sans transition, se transforment en bons samaritains ou en personnes disposés à la vertu. Le propos du film se base sur le parallélisme entre ces derniers et les figures emblématiques du siècle dernier, que l’on voit sur tous les murs d’Aljarida, et qui représentent un ensemble de valeurs et de principes que l’on ne retrouve plus. Cela s’arrête malheureusement au premier degré du symbole ou du slogan, sans pénétrer la problématique marquante de notre époque, celle du recul des valeurs. L’histoire du film est pourtant, comme l’affirme Ali Laâbidi, inspirée des écrits de différents auteurs mondiaux dont Marivaux. La dernière heure est, en fin de compte, une œuvre qui reflète bien le contexte dont elle parle, dans le sens où elle amène à s’interroger sur le difficile contexte cinématographique que nous connaissons tous.
Narjès TORCHANI