Et à l’intérieur d’Israël, les
Palestiniens du pays ont organisé pour la première fois leur propre
marche dans le coeur d’Israël en agitant des drapeaux palestiniens à
Jaffa, la ville palestinienne autrefois célèbre qui est devenue depuis
1948 un humble faubourg de Tel Aviv.
Avec leur manque de discernement
habituel les dirigeants israéliens ont dit reconnaître "l’empreinte" de
l’Iran sur les événements de la journée -comme si les Palestiniens
manquaient par eux-mêmes de raisons de se plaindre et de manifester.
Mais en réalité, cela fait des mois que
les services secrets israéliens préviennent que de telles manifestations
de masse sont inévitables, à cause de l’intransigeance du gouvernement
de droite israélien à un moment où Washington s’intéresse de nouveau à
la création d’un état palestinien et en raison du sentiment répandu par
le printemps arabe que "le changement est possible".
Suivant l’exemple des manifestants
égyptiens et tunisiens, des Palestiniens ordinaires ont utilisé les
nouveaux médias sociaux pour organiser et coordonner leur protestation
-défiant en la circonstance les murs, les palissades et les checkpoints
qu’Israël a érigés partout pour les séparer les uns des autres. C’est
Twitter, et non Téhéran, qui a guidé les manifestations.
Bien que les manifestations ne soient
pas encore une troisième Intifada, elles laissent présager ce qui va
arriver. Ou, comme l’a dit un commandant israélien, elles ressemblent de
façon inquiétante à "un échauffement" en préparation du mois de
septembre, époque à laquelle les leaders palestiniens qui viennent de se
réunifier, menacent de défier les USA et Israël en demandant à l’ONU de
reconnaître un état palestinien dans les frontières de 1967.
Ehud Barak, le ministre israélien de la
défense, a aussi manifesté son inquiétude en disant : "Nous ne sommes
qu’au début de ce processus et nous pourrions avoir à affronter des
problèmes beaucoup plus compliqués."
Israël devrait tirer plusieurs leçons, dont aucune n’est agréable,
des affrontements qui ont eu lieu ce week-end.
La première est qu’Israël ne peut plus
régler le problème du printemps arabe en fermant simplement les
écoutilles. Les soulèvements que ses voisins arabes affrontent
signifient que ces régimes n’ont plus la légitimité de décider du sort
de leur population palestinienne en fonction d’intérêts personnels étriqués.
De la même manière que le gouvernement
de l’après Mubarak en Egypte est plutôt en train d’alléger le blocus sur
Gaza que de le renforcer, la situation délicate du régime syrien le
rend moins apte ou désireux de retenir, et encore moins de tuer par
balle, des manifestants palestiniens qui se rassemblent aux frontières d’Israël.
La seconde leçon est que les
Palestiniens ont compris la signification de la récente réconciliation
entre les Fatah et le Hamas. L’établissement d’un gouvernement d’unité,
montre que les deux factions rivales ont tardivement réalisé qu’elles ne
pouvaient pas progresser dans leur lutte contre Israël tant qu’elles
étaient divisées politiquement et géographiquement.
Les Palestiniens ordinaires sont arrivés
à la même conclusion : en face des tanks et des avions de combat, la
force des Palestiniens réside dans un mouvement national de libération
unifié qui refuse de se laisser définir par la politique de
fragmentation d’Israël.
La troisième leçon est qu’Israël a
profité du calme relatif à ses frontières pour renforcer l’occupation de
la Cisjordanie, de Jérusalem et de Gaza. Les traités de paix avec
l’Egypte et la Jordanie, en particulier, ont permis à l’armée
israélienne de consacrer toute son énergie au contrôle des Palestiniens
qui se trouvaient sous sa coupe.
Mais Israël a-t-il assez d’hommes pour
lutter sur plusieurs fronts contre des révoltes palestiniennes
coordonnées et soutenues ? Peut-il supporter une telle pression sans se
livrer au meurtre de masse de manifestants palestiniens désarmés ?
La quatrième leçon est que les réfugiés
palestiniens ne resteront sûrement pas sans réaction si, en septembre,
leurs intérêts n’étaient pas pris en compte par Israël ou si la requête
palestinienne pour un état à l’ONU n’était pas à la hauteur de leurs
aspirations.
Les manifestants palestiniens de Syrie
et de Liban ont montré qu’ils ne resteront pas en marge du printemps
arabe palestinien. Ce message n’a pas été perdu pour le Hamas ni le
Fatah au moment où ils se mettent à élaborer une stratégie commune pour
les prochains mois.
Et la cinquième leçon est que les scènes
de protestations palestiniennes sur les frontières d’Israël vont
enflammer l’imagination des Palestiniens partout et qu’ils vont se
mettre à envisager l’impossible -exactement comme les manifestations de
la place Tahrir ont galvanisé les égyptiens jusqu’à les conduire à
croire qu’ils pouvaient se débarrasser de leur dictateur.
Israël est dans une impasse stratégique et diplomatique. Le week-end
dernier il a peut-être eu un premier avant-goût de ce qui l’attend désormais.
Article original en anglais :
Israel in strategic dead-end. Nakba protests: A taste of the future.
Publié le 18 mai 2011. La version originale de cet article
a été publié par The National à Abu Dhabi.
Traduction : D. Muselet pour Le Grand Soir.Jonathan Cook est un écrivain et journaliste de Nazareth en Israël. Ses derniers livres sont “Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East” (Pluto Press) et “Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair” (Zed Books). Son site web est : www.jkcook.net.