Originaires de la région sinistrée, ils ne veulent plus rester les bras
croisés. Portraits de deux jeunes,
symboles d'une Tunisie entreprenante.
[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة]Auteur Frida Dahmani« Si tu es capable de faire une voiture, alors tu peux faire bien
plus ! » Cette affirmation lourde de suspicion que lui a lancée un
policier en 2010 a tellement effrayé Hichem Mandhour qu’il dissimulera,
pendant des mois, dans l’oasis de Gafsa, le prototype de sa « M Tuni »,
un deux-chevaux hybride de son invention. Mais il n’a pas pour autant
rangé ses rêves sous les palmiers. Hichem, 29 ans, est têtu mais
pragmatique ; il croit que les inventions ont leur place en Tunisie même
si, « ici, on n’écoute pas les inventeurs. Mais l’essentiel est l’idée,
et il ne faut pas toujours des millions pour développer les
applications, mais d’abord de la volonté et moins d’obstacles
administratifs ».
Ce fils de petits fonctionnaires est un battant. Quand l’Institut
supérieur des études technologiques de Gabès refuse son projet de fin
d’études, il emprunte l’atelier d’un voisin, à Gafsa, pour construire
cette petite urbaine à laquelle il consacre ses maigres économies. Née
avant la révolution, la « M Tuni » était déjà patriotique, depuis sa
carrosserie, rouge comme le drapeau national, jusqu’à son nom,
contraction de Mouwaten Tounsi (« citoyen tunisien »). « Écologique,
économique, elle répond aux besoins des Tunisiens et pourrait être
commercialisée au prix de 2 500 euros », argumente Hichem, qui, soutenu
par l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), a ficelé son
étude technique. Mais la « M Tuni » est toujours en panne faute
d’investisseurs. Hichem, au chômage, comme 62 % des jeunes diplômés de
la région, broie du noir et demande seulement à être entendu.
Tête chercheuse[ندعوك للتسجيل في المنتدى أو التعريف بنفسك لمعاينة هذه الصورة]Brillant scientifique, Ameur Dhari est rentré au pays au nom de l'intérêt
nationalAmeur Dhahri (photo ci-contre : © Nicolas
Fauqué/imagesdetunisie.com) a deux passions : la recherche et la
Tunisie. Originaire d’une famille militante et modeste de Gafsa, il est
familier des laboratoires de recherche en France, en Italie, au Chili et
en Allemagne. À 32 ans, cet habitué des publications scientifiques
affiche un curriculum vitæ de surdoué. Il vient de mettre au point, avec
Luigi Accardi, du Centre Vito Volterra, à Rome, une nouvelle théorie
relative à la mécanique quantique qui devrait faire grand bruit dans le
monde scientifique. Major de promotion à l’École normale de Lyon, il a
renoncé à enseigner à Paris-Dauphine pour revenir en Tunisie.
S’il semble afficher la désinvolture et l’aisance de ceux qui
jonglent avec les théorèmes, Ameur est on ne peut plus sérieux quand il
s’agit de son pays. Actuellement professeur à l’Institut national des
sciences appliquées et de technologie (Insat), il a mis entre
parenthèses sa carrière pour dresser, avec d’autres
enseignants-chercheurs, un diagnostic du mal qui ronge la recherche
tunisienne afin d’en identifier les remèdes.
« La recherche est une base du développement, rappelle-t-il.
L’exemple du Japon est édifiant. Celui du Chili aussi ; les moyens
donnés à la recherche sont en train de tirer le pays vers le haut malgré la pauvreté.
Ameur dénonce avec force le système mis en place et le comportement
des chefs de recherche qui freinent l’émergence de jeunes qui ont
souvent fait des études supérieures. « La caste des chercheurs est une
mafia qui casse la recherche en s’appropriant les travaux des autres,
car elle ne produit rien par elle-même », s’indigne-t-il.
Révolté dans l’âme, il n’évoque pas la révolution, même s’il y a
participé activement. Pour lui, le régionalisme est à l’origine du
mal-être tunisien. « La réconciliation nationale est possible si l’on
reconnaît que l’on a amputé un pan de notre histoire. Cela remonte à
loin. Il s’agit de lever une injustice, de réhabiliter une mémoire, dont
celle des fellagas, qui ont participé à la lutte pour l’indépendance,
alors que Bourguiba et Ben Ali, à travers le régionalisme, ont occulté
leur existence. Nous avons su être unis. Nous pouvons l’être encore plus
en donnant la priorité aux compétences plutôt qu’aux origines. » Ameur
s’est découvert une nouvelle passion : la politique.
Source: Jeune Afrique