Le débat sur l'islam et la laïcité les oblige, de nouveau, à
s'expliquer sur leur intégration. Mais les musulmans français réclament
de parler d'autre chose que de religion. Ils veulent avoir le droit de
se comporter en citoyens ordinaire. Est-ce trop leur accorder ? demande
un journaliste algérien.
Il fut un temps où les musulmans de France - on disait alors les arabes -
se taisaient, baissent les yeux et, dos voûtés, rasaient les murs.
Parqués dans les bidonvilles ou à peine installés dans des cités qui
n'allaient pas tarder à se transformer en ghettos, ils avaient
intériorisé leur statut d'étrangers au statut précaire. Ceux qui, d'une
manière ou d'une autre, avaient accédé à la nationalité française ne
cherchaient pas non plus à se faire entendre.
Eux aussi admettaient leur statut de citoyens de seconde catégorie,
victimes de discriminations ou d'injustices quand il ne s'agissait pas
tout simplement d'actes de violence comme les ratonnades.
Les temps et la France ont changé. Cette résignation n'est plus.
Les nouvelles générations prennent la parole, revendiquent, parfois
avec véhémence ou maladresse, leur place dans l'espace public et
n'acceptent pas d'être reléguées sur le plan spatial, social et même
politique. Ces nouveaux entrants dans l'agora française représentent une
force montante. Une force qui inquiète déjà les élites traditionnelles
alors qu'elle n'a pas encore pris la mesure de sa puissance. C'est l'une
des raisons qui explique le malaise ambiant et pourquoi certains
intellectuels de renom se joignent aux appels hystériques à propos de la
nécessité de débattre de l'islam. En réalité, tout cela n'est qu'une
bataille de position qui ne dit pas son nom.
Bien entendu, l'islam est un thème en or pour celles et ceux qui
cherchent à faire oublier l'immense échec de la politique de Nicolas
Sarkozy. Elu en 2007, l'homme n'a tenu aucune de ses promesses majeures.
Ni baisse de l'insécurité ni amélioration des conditions de vie des
Français. Bien sûr, il a rendu service aux classes les plus aisées mais
le chômage frôle désormais les 5 millions (si l'on prend en compte les
emplois précaires) et, plus que jamais, la France perd du terrain dans
la bataille économique mondiale. Lancer un débat sur l'islam, c'est
s'offrir une belle diversion car le sujet ne laisse personne
indifférent.
Dans le même temps, il faudrait être malhonnête
pour ne pas reconnaître que certains musulmans vivant en France ne font
rien pour arranger les choses. Bien au contraire, on a même l'impression
qu'ils éprouvent une certaine jubilation à effrayer les gens par des
comportements qui ne cadrent pas avec les habitudes culturelles du pays
dans lequel ils ont la chance de vivre. On sait que l'immense majorité
des musulmans ou des personnes de culture musulmane sont prises en otage
par les surenchères de l'extrême-droite et le comportement exécrable
d'une minorité agissante qui semble convaincue d'avoir tous les droits.
Si personne ne réclame des minarets, j'ai tout de même entendu un
sportif de renom d'origine algérienne tenir les propos suivants lors
d'une émission de grande écoute : "Donnez-nous vos églises désertes,
vous verrez qu'elles seront remplies une fois transformées en mosquées."
Voilà le genre d'imbécilités qui ne peut que propager la peur et
renforcer les clichés sur une religion jugée prosélyte qui s'attaquerait
au fondement chrétien de la France, cette ex-fille aînée de l'Eglise.
Il n'y a pas de causes uniformes aux réactions d'hostilité voire
de peur ou tout simplement d'incompréhension à l'égard des musulmans.
Nombre de Français sont sincèrement effrayés ou révulsés par des
comportements et des attitudes pourtant minoritaires. D'autres ont
trouvé dans la haine du musulman le moyen de recycler leur détestation
de l'étranger et, de manière plus précise, de l'arabe. Il faut
d'ailleurs s'intéresser de près à l'évolution du discours de
l'extrême-droite. En s'attaquant aux seuls musulmans (au nom d'une
laïcité jadis combattue), elle évite d'entrer en confrontation directe
avec les juifs de France qui ont longtemps été sa principale cible.
Quand Le Pen fille dit qu'elle n'a rien à l'encontre des juifs, elle
applique une stratégie que l'on retrouve un peu partout en Europe où les
mouvements d'extrême-droite tentent de se défaire de l'étiquette
antisémite en pensant que cela rendra plus respectables leurs diatribes
anti-immigrés.
Comme dans les années 1930, l'extrême-droite distille son venin et fait
planer le soupçon sur les citoyens français de culture étrangère. Hier,
c'étaient les Juifs. Aujourd'hui, ce sont les musulmans. Et comme dans
les années 1930, une partie de l'intelligentsia française, plus par
intérêt que par conviction, se fait la complice de cette chasse aux
sorcières qui ne dit pas encore son nom. Hier, il s'agissait d'empêcher
les intellectuels juifs de prendre la parole et de faire entendre leur
voix en faisant planer sur eux le soupçon de déloyauté à l'égard de la
France.
Cela se répète aujourd'hui. Quand on entend tel ou tel
journaliste ou essayiste, dont on n'a aucune raison de douter de son
intelligence, joindre sa voie à l'hystérie antimusulmane, on comprend
que l'enjeu est ailleurs. Comme mentionné au début de ce texte, cela
relève d'une bataille de leadership qui ne fait que commencer.
Dramatiser à l'excès les écarts et abus d'une minorité dans la minorité,
c'est obliger les élites françaises de culture musulmane à être
constamment sur la défensive. C'est les contraindre à faire acte
d'allégeance en disant et répétant à l'envi ce que la majorité des
Français a envie d'entendre. C'est dénier à ces intellectuels, artistes
ou même politiciens le droit de s'exprimer sur d'autres sujets qu'il
s'agisse de la politique économique et sociale ou encore la politique
étrangère. Suspects, ils devront en permanence donner des gages de bonne
intégration avant de s'exprimer. Et, quoi qu'ils fassent, l'accusation
de double langage planera toujours sur leurs têtes. Le débat sur l'islam
a plusieurs facettes, celle qui vient d'être décrite est peut-être la
moins connue mais certainement pas la plus anecdotique.