La violence semble
s’installer dans le paysage et la pratique politiques en Tunisie. Les
événements qui ont eu lieu dans la capitale et certaines villes du pays
tendent à le confirmer ce qui préoccupe beaucoup de citoyens habitués à
un pays où seules les structures de l’Etat ont le monopole de la
violence et de la répression. A l’occasion d’une manifestation culturelle organisée dimanche dernier
au centre ville par le mouvement Lam Echaml pour soutenir les artistes
qui ont été agressés ou harcelés ces derniers mois pour leurs positions,
des islamistes radicaux ont saccagé la salle où la manifestation a eu
lieu et s’en sont pris aux participants armés de bâtons et de couteaux.
Ils voulaient interdire la projection d’un film.
Sans l’intervention, même tardive des forces de l’ordre, les dégâts
auraient été plus importants et les blessés plus nombreux et plus
graves. Le lendemain, ces mêmes salafistes se rassemblent devant le
tribunal de Tunis pour réclamer la libération de sept de leurs collègues
interpellés la veille et s’en prennent aux avocats. Les forces de
l’ordre ont dû intervenir de nouveau pour limiter les dégâts. Deux
avocats au moins ont été blessés dans cette descente islamiste.
Quelques jours avant, des jihadistes à Sousse s’en sont pris à l’église
de la ville et ont voulu l’incendier. La porte, centenaire en porte
encore les stigmates. Plus au sud, à Gafsa, des membres de Hezb
Ettahrir sont allés jusqu’à remplacer le drapeau national par un drapeau
noir, sous l’œil effaré des habitants, indignés mais terrorisés.
Face à cette déferlante de violence, les réactions ont été timides.
Seuls quelques partis politiques dont notamment Ettajdid et le PDP,
quelques organisations de la société civile comme l’Association des
femmes démocrates et la Ligue des droits de l’Homme et quelques
départements gouvernementaux tels que le ministère de l’intérieur et
celui des Affaires religieuses ont réagi d’une manière claire et rapide.
Les autres ont brillé par leur silence qui en dit long sur les
convictions démocratiques et les calculs pré-électoraux des uns et des
autres.
Quant au mouvement Ennahdha, son leader Rached Ghannouchi a exprimé lors
d’une conférence de presse tenue lundi, ses simples regrets face à ces
violences, les expliquant toutefois par les multiples provocations qui
touchent à l’identité arabo-musulmane du pays.
Le dirigeant islamiste ne pouvait pas en effet ignorer ces violences,
lui qui cherche aujourd’hui à donner à son parti l’image d’un parti
islamiste assagi à la turque, mais ne pouvait pas non plus aller trop
loin dans la condamnation des violences islamistes au risque de se
couper de sa base.
Mais au-delà de cet aspect factuel et des réactions des uns et des
autres, cette violence, qui prend de plus en plus un aspect idéologique
et politique, interpelle l’ensemble de la société tunisienne, non pas
parce qu’elle est une société pacifique qui refuse la violence mais
parce que cette violence renvoie à des modèles de société antagonistes.
En effet, ces violences, enregistrées la période passée, opposent
systématiquement des islamistes radicaux à des non islamistes. Qu’on
appelle les uns Hezb Ettahrir, salafistes ou jihadistes ne change rien à
leur identité ; une identité qui se réfère exclusivement à la religion
dans son interprétation la plus radicale et qui cherche à imposer cette
vision de l’islam à l’ensemble de la société comme étant le seul modèle
acceptable dans un pays où la quasi-totalité de ses habitants sont
musulmans. La position inconfortable du mouvement Ennahdha émane du fait
qu’étant un parti islamiste, il ne peut que partager cette vision
islamiste mais étant aussi plus calculateur et tactique, il se doit de
se démarquer des méthodes utilisées par ces islamistes radicaux.
Qu’on appelle leurs opposants laïcs, athées, éradicateurs ou mécréants
ne change pas non plus leur identité. Ils sont républicains,
modernistes, attachés aux acquis de la Tunisie contemporaine, aux
principes des droits de l’Homme et aux valeurs de la démocratie, de la
liberté individuelle et de l’égalité.
Il s’agit en somme de la confrontation de deux modèles de sociétés. Le
premier est un modèle religieux importé des pays du Golfe et de la
région de l’Extrême-Orient asiatique. Il profite d’un soutien financier
important. Il profite aussi d’une base qui, même si elle n’est pas très
nombreuse, est très active, disciplinée et organisée.
Les militants de cette vision religieuse du monde et de ce modèle
sociétal ne rechignent pas à utiliser tous les moyens allant jusqu’à
soudoyer, intimider, violenter, agresser et terroriser. Ils profitent de
la faiblesse toute compréhensible de l’Etat dans cette phase de
transition pour essayer de s’imposer envers et contre tous.
Le second est un modèle de société installé depuis l’indépendance de la
Tunisie sinon avant. C’est un modèle d’une société ancrée dans son
identité arabe et musulmane mais attachée à son histoire riche et
plurielle. C’est un modèle d’une société inscrite dans la modernité,
ouverte sur le monde, jalouse de ses acquis notamment concernant
l’éducation, les droits de la femme, la liberté de pensée et
d’expression, l’attachement à la démocratie et aux valeurs de la
république. C’est un modèle qui voit dans la révolution du 14 janvier
2011 une chance et une occasion pour consolider et fructifier ses acquis
et non pas les renier.
Dans ce contexte, les tensions sont exacerbées et seul un Etat fort peut
garantir la paix sociale et prévenir les risques de fratricides connus
par d’autres pays proches ou lointains, avant nous. Autant dire que la
vigilance s’impose.
Sofiene Ben Hamida